Enfermée seule au CRA de Nimes, promenade interdite, 24h/24 en cellule.

C’est un témoignage qui date d’il y a plus d’un an, on a traîné pour le
retranscrire mais voilà on le publie quand même, il est issu d’une
émission de radio de l’envolée, une prisonnière y raconte
l’enfermement seule dans la chambre du CRA, sans droit ni de visite, ni
de promenade, ni même de réfectoire. Un témoignage de plus qui montre
l’arbitraire des règles imposées par la PAF aux personnes retenues en
CRA. 

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Le juge, le flic et le médecin

Une destruction concertée de la santé des personnes enfermé·e·s en CRA

Systematiquement, les prisonnier·e·s  racontent des cas de violences médicales, de refus de soin, et d’enfermement de personnes malades. La santé en CRA est souvent un enjeu de lutte, comme dans des grèves de la faim collectives pour obtenir des soins. Face au risque d’expulsion, des prisonnier·e·s en arrivent à des pratiques telles que l’automutilation.
Dans ce texte il n’est pas question de réclamer de meilleures conditions d’enfermement : la privation de liberté n’est pas et ne sera jamais compatible avec une bonne santé. La dégradation de l’état de santé physique et mentale en CRA est un outil de l’État pour réprimer les personnes étrangères.
À partir de ces histoires, on propose ici quelques réflexions au sujet de la santé dans les CRA.
Femmes enceintes en CRA : absence de suivi gynécologique et violences policières
Ces derniers mois, nous avons souvent été en contact avec des femmes enceintes enfermées au CRA du Mesnil-Amelot. Dans bien des cas, malgré le fait que l’incompatibilité avec la rétention soit prononcée par l’hôpital de Meaux les femmes enceintes sont emprisonnées et expulsées par la préfecture. Quand l’infirmerie du CRA les reçoit, c’est pour leur donner des médicaments incompatibles avec la grossesse. Quand elles cherchent à contacter le SAMU, l’administration du centre refuse l’accès à l’ambulance. Et quand des prisonnières enceintes s’opposent au vol elles subissent des expulsions violentes.
En avril dernier Manue*, une femme enceinte de sept mois, a appelé le Samu avec l’aide d’une autre prisonnière, mais les flics ont refusé l’accès à l’ambulance. Constatant ses fortes douleurs, le service médical du CRA, lui a répondu qu’il n’y avait pas de raison particulières de s’inquiéter. Elle a finalement réussi à se faire amener à l’hôpital qui a notifié l’incompatibilité de son état de santé avec la rétention. Elle a tout de même été renvoyée directement au centre. Plus tard, vu que son état empirait, Manue a été ramenée à l’hôpital. Mais cette fois-ci ils ont refusé de la prendre en charge, rejetant la responsabilité sur l’administration du CRA qui n’avait pas tenu compte de leur notification précédente. Manue a ensuite été expulsée.
Plus récemment, nous avons été en contact avec Celi*. Enceinte de quatre mois, elle n’a reçu aucun suivi gynécologique lors de sa rétention. En raison de fortes douleurs, l’infirmerie du CRA lui avait donné des médicaments incompatibles avec la grossesse. Celi a été expulsée de force après plusieurs refus de test, pieds et mains scotchés. À son arrivée, de plus en plus souffrante, elle est allée aux urgences. Les médecins ont constaté que le fœtus était mort depuis dix jours, ce qui mettait sa santé en danger. Ils ont clairement attribué cette mort aux médicaments et aux mauvais traitements pendant la détention : stress, dénutrition, violences physiques des flics notamment pendant les tentatives d’expulsion.
L’enfermement comme outil de destruction psychologique 
Au printemps 2022, les prisonniers du CRA de Vincennes se sont mobilisés contre leurs conditions d’enfermement, la bouffe dégueulasse et les expulsions par vols cachés. Une grève de la faim massive s’est étendue à plusieurs bâtiments, puis une tentative d’évasion collective a fait tomber une première porte. De l’extérieur on essayait de soutenir tout ça en amenant de la bouffe en visite, en organisant des manifs et des parloirs sauvages. On a tissé des liens chouettes à cette période, notamment avec Assane, très investi dans les révoltes, qui tentait de s’organiser avec les autres personnes de son bâtiment pour faire face aux flics. Il était à bout, ne dormait presque pas. L’infirmerie du CRA lui donnait beaucoup de Valium – anxiolytique très addictif et largement distribué à l’intérieur. Il a craqué au bout de quelques semaines, épuisé et déprimé. 
Les prisonnier·e·s subissent une médication massive qui vise à éteindre leur colère, à anéantir les esprits et les corps. Parfois directe et violente lors de passages forcés en hôpital psychiatrique (HP), la contrainte exercée par le personnel médical pour les droguer est le plus souvent sournoise : on incite les retenu.es à prendre des anxiolytiques et des sédatifs pour supporter un environnement qui ne peut que générer angoisses et insomnies. « En CRA, on fabrique des toxicos », nous a dit Assane : à sa sortie, il est brutalement passé de hautes doses de Valium à rien du tout, et il a dû gérer tout seul pendant plusieurs semaines les souffrances liés à ce sevrage sauvage, ce qui l’a poussé à une forte consommation d’alcool. La destruction psychologique fait partie de la logique du CRA, et ses effets continuent bien après la fin de l’enfermement.
On entend souvent dire que les gens « deviennent fous » en CRA. Entre le harcèlement des flics, la bouffe  dégueulasse, la saleté et la crainte permanente d’être emmené.e de force dans un avion, la santé mentale est mise à l’épreuve au quotidien. Dans ces conditions, médecins et flics travaillent main dans la main pour briser toute tentative de rébellion : les uns frappent, les autres sédatent.
Juges et médecins se renvoient la balle pour ne libérer personne
Le dernier maillon de cette chaîne, c’est le juge des libertés et de la détention (JLD) : une personne  enfermée au CRA peut passer quatre fois devant le JLD, qui décide le plus souvent de prolonger la rétention administrative. Souvent les personnes enfermées  signalent leurs problèmes de santé lors de ces audiences ; même lorsqu’elles amènent des certificats médicaux, les juges ont tendance à s’en foutre. À toutes les audiences auxquelles on a assisté, on a jamais vu de juge prononcer une incompatibilité de la rétention avec l’état de santé d’une personne enfermée : ce serait risquer de faire une jurisprudence favorable aux prisonnier.es.
Il y a un an, on a rencontré Soraya, dont le frère Youcef a été placé au CRA de Vincennes en octobre 2021. En allant avec elle aux audiences successives de Youcef, on a assisté à l’acharnement de l’administration et des juges contre lui. On a compris que l’Etat avait tout intérêt à maintenir un vide  juridique : personne n’est vraiment responsable de statuer sur la compatibilité de l’état de santé avec la rétention, donc toutes les  personnes malades restent enfermées.
A la fin de ses trois mois passés à Vincennes fin 2021, Youcef a été condamné à trois mois de prison pour refus de test PCR, alors nécessaire pour procéder à l’expulsion. A la fin de sa peine en mars 2022, il a été renvoyé au CRA. Son état de santé physique et mentale était très mauvais, comme l’attestaient plusieurs certificats médicaux établis par des médecins et psychiatres. A son deuxième passage au CRA, le JLD a malgré tout prolongé son enfermement tout en demandant au médecin du centre ou à « tout autre praticien » de statuer sous quarante-huit heures sur la compatibilité de son état de santé avec la rétention. Mais le médecin du CRA refuse de statuer, affirme qu’il est incompétent, et renvoie la balle au médecin de l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration, rattaché au ministère de l’intérieur). Le médecin de l’Ofii, lui, affirme qu’il ne peut statuer que sur la compatibilité de l’état de santé avec l’expulsion.
Dans la loi, ce n’est pas clair du tout : une instruction du ministère de l’intérieur dit que cela ne relève pas de la compétence du médecin du CRA, mais une décision de la cour d’appel de Paris en date du 11 février 2022 affirme le contraire. Au final, le médecin du CRA a juste remis à Youcef un certificat médical indiquant qu’il avait besoin d’un suivi approfondi. L’avocate a donc formulé une requête de remise en liberté, indiquant que la demande du juge n’avait pas été respectée, mais elle a été rejetée. Au JLD suivant, la juge a prolongé la rétention en disant que puisque l’incompatibilité n’avait pas été prononcée par le médecin, c’est qu’il n’y avait pas incompatibilité. 
En mai, Youcef a encore été condamné à de la prison ferme pour refus de test. Au bout d’un peu plus d’un mois, il a obtenu la liberté conditionnelle au vu de son état de santé ; en fait, à son passage au greffe, des flics étaient là pour le raccompagner pour la troisième fois au CRA de Vincennes. Rebelote au JLD : la juge a ordonné une première prolongation et invité « l’administration à faire un examen médical pour vérifier la compatibilité avec la rétention et  l’éloignement ». Elle prétend que Youcef « n’a pas fait état de ses problèmes de santé », alors que  l’avocate en a parlé pendant vingt minutes, certificats médicaux à l’appui.
Bref, pendant plus de dix mois, l’administration et la justice se sont servies de la nouvelle législation qui considère le refus de test comme une « obstruction à une mesure d’éloignement » pour garder Youcef enfermé et lui faire faire des allers-retours CRA-prison. Personne n’a voulu statuer sur la compatibilité de son état de santé avec la rétention.
Un système d’enfermement qui pousse aux tentatives de suicide et à l’automutilation
En attendant, la santé de Youcef se dégrade et il est régulièrement envoyé à l’hôpital suite à des tentatives de suicide. Après son dernier passage devant le JLD, il nous a dit : « Là je fais une grève de la faim, ça fait quatre jours que j’ai pas mangé, et en plus j’ai avalé un couteau. J’ai mal, j’ai déjà une perforation à l’estomac. Je veux même pas voir le médecin car je sais comment ça va se passer, il va faire le papier comme quoi il peut pas prendre ses responsabilités et c’est tout. » Finalement, en juillet 2022, pour mettre fin à  l’enfermement, il décide de réaliser le test PCR qui permettra de l’expulser en Algérie. Il sera expulsé quelques jours plus tard dans des conditions particulièrement dégueulasses, après avoir passé vingt-quatre heures au mitard sans rien manger car avec une lame dans le ventre, il devait être à jeun pour le vol.
Les tentatives de suicides et les automutilations (notamment en avalant des lames de rasoir, des piles, des coupes-ongles) sont fréquentes. C’est souvent un moyen pour les gens de résister à l’expulsion ou de faire pression sur les flics pour avoir accès à des soins. Ainsi, Abdoulaye nous a raconté les stratégies qu’il a dû mettre en place pour obtenir de voir un dentiste : «Moi, quand j’ai un problème de dents et qu’on veut pas me faire voir le médecin, je fais une corde [menace de se pendre], sinon ils en ont rien à foutre.» Cela lui a valu d’être enfermé en HP et de se faire injecter des drogues de force. En plus des médocs, il arrive que certains retenus suicidaires voient une psychologue à l’intérieur, comme si leur déprime pouvait être soignée à coup de psychothérapie et comme si leurs envies de suicide n’étaient aucunement liées à l’enfermement.
Conclusion
En définitive, dans l’histoire de Youcef comme dans bien d’autres, juges et médecins se disent tour à tour incompétents pour statuer sur la compatibilité de l’état de santé avec la rétention. Les juges ne font rien, car libérer des gens poussé.es aux tentatives de suicide et à l’automutilation, reviendrait à valider ces modes d’action. Le médecin lui, travaille à maintenir les personnes enfermées à la limite de la survie, parce qu’un.e mort.e en CRA ça la fout mal publiquement ; s’ils meurent trois jours après leur libération ou leur expulsion, ce n’est plus le problème de l’Etat français.
Les médecins du CRA, de l’Ofii, de l’hôpital, la  préfecture, le JLD, les flics sont les petites mains de l’Etat qui orchestre la dégradation de la santé physique et mentale des prisonnier.es. Ils savent ce que ça veut dire d’enfermer les gens, ils savent la violence que ça représente, ils savent que ça pousse à se mutiler et à tenter de se suicider, et ils le valident par leurs décisions, leurs refus de statuer, leurs petites magouilles en langage juridique savant. Plus la durée  maximale de rétention est rallongée par les gouvernements successifs, plus les allers et retours CRA-prison sont fréquents et plus les personnes enfermées sont prêtes à tout pour y mettre fin. L’Etat applique une politique de répression et d’enfermement qui banalise la dégradation de la santé, si bien qu’il faut aller toujours plus loin dans la mise en danger de soi pour être pris.e au sérieux. Il n’y a que grâce à leurs mobilisations que les prisonnier.es arrachent un peu de prise en charge et de soins. Nous voulons continuer de rendre visible les révoltes à l’intérieur et les soutenir. En relayant l’histoire des prisonnières du Mesnil faisant bloc pour soutenir l’une d’entre elles qui était enceinte. En criant « Liberté » et « À bas les CRA » avec des proches dans leurs salles d’audience pourries. En parvenant d’une manière ou d’une autre à envoyer de la force aux grévistes de la faim. En continuant de se battre aux côtés des personnes qui subissent la machine à enfermer et expulser, contre ceux qui la font
marcher. Bref, comme d’habitude, à bas les CRA !

Cantine, projection et appel à une assemblée publique de rentrée contre les CRA

L’été a été chaud dans les Centres de Rétention Administrative (CRA) d’Île-de-France. À Vincennes la situation est toujours aussi pourrie et les parloirs sont de plus en plus compliqués, les nouvelles méthodes développées pendant le confinement sont toujours utilisées, ce qui augmente encore plus l’isolement des personnes enfermées. Au Mesnil-Amelot les prisonniers se sont révoltés à plusieurs reprises en montant sur les toits et en s’opposant aux flics. Dans le bâtiment des femmes une grève de la faim a eu lieu à la fin du mois d’août. Par la répression, l’État tente d’enrayer ces révoltes que ce soit en envoyant les plus
récalcitrant-es dans d’autres CRA ou à travers des condamnations à de la prison ferme.

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