Comment COVID-19 affecte les régimes de détention et d’expulsion en Europe
(texte collectif écrit en anglais et traduit en français)
La pandémie du Covid19 plonge tous les pays du monde entier dans une crise économique et une crise de santé publique – le virus nous affecte tou.te.s. Malgré son envergure mondiale, les États et leurs gouvernements cherchent des réponses nationales.
En Europe, la pandémie a poussé, à certains égards, à la solidarité et à la priorisation de la santé publique, mais aussi – et surtout – aux restrictions de la vie sociale et des libertés publiques. Dans de nombreux pays, le droit de circuler, de se rassembler et de protester ont été restreints par des mesures d’urgences au nom de la crise sanitaire et nous observons de nombreuses tendances autoritaires dans la mise en œuvre des mesures prises.
Il est souvent souligné que l’épidémie du Covid19 nous affecte tou.te.s. Cependant, cette crise, ainsi que les réponses qui lui sont apportées, s’appliquent à géométrie variable et catalysent souvent des discriminations et des exclusions préexistantes. Cette pandémie ne met pas seulement en lumière les conditions dégradantes dans les prisons et les centres de rétention en temps normal, mais montre également le visage le plus laid des politiques d’enfermement et d’expulsion des États de l’UE. Les États ont fait un choix sur les corps qui méritent d’être protégés et guéris et ceux qui sont exclus de la prévention, sans parler des soins. Nous sommes des militants du Danemark, d’Allemagne, de Suisse, de France et d’Italie engagés dans des luttes anti-déportation et anti-rétention. Nous nous sommes réunis pour collecter des informations sur nos contextes, afin de fournir un aperçu plus large de l’impact de COVID-19 sur différents pays. Le système de l’enfermement et des déportations diffère selon les pays européens, ce qui rend la comparaison souvent difficile. Dans certains pays, la détention administrative est effectuée dans des camps semi-ouverts. Dans d’autres, les personnes peuvent être placées en détention provisoire avant expulsion pendant une période pouvant aller jusqu’à 18 mois. Le système des camps pour les demandeurs d’asile diffère également selon les pays. Par conséquent, nous n’expliquerons pas en détail les caractéristiques exactes de chaque pays. Dans ce texte, nous avons établi une distinction entre la rétention provisoire en vue d’une expulsion et les système de camps. De plus amples informations sur les systèmes de papiers de chaque pays sont disponibles ici.
Conséquences de Covid19 sur les expulsions
Au regard de la situation actuelle des expulsions en Europe, quelques points communs se dégagent. Les expulsions entre Etats européens dans le cadre du règlement Dublin ont été temporairement suspendues en mars, elles ont depuis reprises dans certains pays. En France, des expulsions ont eu lieu au cours du mois de mars et d’avril vers la Hollande, la Roumanie et le Portugal. Au Danemark, au moins une tentative de renvoi vers la Roumanie a été reporté depuis la fin supposée des déportations « internes ». Il y a encore un manque de clarté concernant les vols charters et les expulsions vers les pays d’origine : si ces vols semblent totalement suspendus pour la France et l’Italie, ce n’est pas le cas pour certains pays qui semblent moins touchés par le Covid19 et les mesures d’urgence. Du côté français, les expulsions vers les pays d’origine ont été stoppées car le pays a fermé toutes ses frontières extérieures et pourrait ne pas les rouvrir avant l’année prochaine. En Allemagne par exemple, les autorités ont encore tenté de déporter des personnes vers leurs pays fin mars, ce qui a échoué deux fois en raison de mouvements de protestation. Malgré tout, il semble que les autorités allemandes poursuivent leurs efforts pour expulser les gens à tout prix. Au Danemark, le gouvernement n’est pas transparent sur l’arrêt total des expulsions vers les pays d’origine. Parallèlement, il insiste sur l’importance de rattraper tous les vols « manqués » une fois la crise terminée En Suisse, les expulsions vers les pays d’origine sont toujours possibles mais fortement restreintes.
Conséquences de Covid19 sur la détention
Dans un certain nombre de pays européens des libérations ont eu lieu dans plusieurs centres de rétention au début de la crise du fait des risques sanitaires et de l’arrêt des déportations.
Mais partout, de nombreux centres, voire la quasi totalité, restent ouverts et de nombreuses personnes sont toujours enfermées. Pire, la plupart des gouvernements ont imposé de nouvelles restrictions, et avec le ralentissement voire arrêt des déportations, les conditions de rétention deviennent à peine distinguables de celles de la prison. Les cinq pays ont en commun que les parloirs dans les centres de rétention comme dans les prisons sont actuellement interdits et que les prisonniers sont encore plus isolés de leurs proches et du reste du monde qu’auparavant. Dans tous les pays, le droit des personnes à la santé, et peut-être à la vie, est gravement violé depuis le début du confinement.
En Suisse, selon des informations officielles, les autorités genevoises ont libéré tout le monde en retenue et vidé complètement les centres de détention administrative de Favra et Frambois. Cependant, cette décision ne s’est pas étendue à dans d’autres régions du pays; à Bâle et à Zurich, par exemple, il y a encore plus d’une soixantaine de personnes en rétention provisoire. Dans les deux cantons, les autorités soutiennent que le motif juridique des expulsions n’a pas changé et soulignent qu’en général les expulsions sont toujours possibles et exécutées chaque fois qu’elles peuvent être réalisées. En Allemagne, les autorités n’ont pas élaboré d’approche globale sur la façon de protéger et de libérer les personnes en détention provisoire, laissant aux différents Land la possibilité de gérer à sa manière. Quelques centres de détention ont fermé et libéré tous les détenus et plusieurs personnes en attente de transfert de Dublin vers l’Italie notamment, ont été relâchées assez rapidement après l’arrêt des transferts de Dublin. Cependant, de nombreuses personnes restent détenues même si on ne sait pas vraiment quand les vols d’expulsion pourraient reprendre. Dans un centre de rétention de Darmstadt, des personnes ont manifesté contre leur emprisonnement. Aujourd’hui, cinq personnes y sont toujours retenues. Ils rapportent que les doutes liés à la situation et le fait de savoir que de nombreuses autres personnes ont été libérées mais qu’eux sont toujours enfermés représente un énorme stress psychologique pour eux. Au Danemark, le gouvernement refuse de libérer les personnes en détention pour expulsion, mais continue d’arrêter et de détenir de nouvelles personnes – bien que les prisons «normales» aient été fermées pour les nouveaux condamnés. Les gens sont continuellement transférés entre les différents lieux de rétention. Toutes les personnes qui sont transférées à Ellebæk, la prison fermée pour expulsion d’où des personnes sont expulsées de force, sont soumises à l’isolement forcé dans une prison d’État pendant deux semaines avant leur transfert.
En France, le confinement général a été déclaré le 16 mars. De nombreuses prisons pour sans-papiers sont actuellement vides du fait des libérations massives de prisonniers au cours des premières semaines de l’isolement. Cependant, elles ne sont pas définitivement fermées et d’autres centres continuent de fonctionner malgré la pandémie. À ce jour, de nombreux centres de rétention administrative (CRA) se remplissent à nouveau rapidement et les nouvelles rétention sont très souvent validées et prolongées par les juges. Comme on pouvait s’y attendre, le confinement et l’état d’urgence ont renforcé les contrôles d’identité et les arrestations arbitraires – même de travailleurs sans papiers qui n’ont pas d’autre soutien financier pendant la crise que de continuer à travailler. De nombreuses personnes sans-papiers sont également transférées directement des prisons à des centres de rétention : cette «double peine» existe depuis longtemps en France et s’est intensifiée pendant la crise. En Italie, les centres de détention (CPR) sont toujours ouverts. La fonctionnalité des centres dépend des autorités locales, et les informations à ce sujet sont partagées par le siège de la police locale (préfecture). Même si certains juges, à Potenza et Trieste par exemple, ne valident pas la prolongation de la détention, dans de nombreux cas, les CPR continuent de faire entrer de nouveaux détenus et les juges locaux prolongent ou valident la détention comme si rien n’avait changé. La principale différence est qu’au lieu d’une expulsion, il n’y aura qu’une obligation de quitter le pays.
Ainsi, les expulsions ne pouvant pas être effectuées, les motifs juridiques de la rétention pour expulsion disparaissent également. Même si nous rejetons cette prémisse absurde, autant que nous rejetons le régime de rétention et d’expulsion à travers l’Europe dans son ensemble, nous tenons à souligner que cela ne laisse plus aux autorités aucune justification légale ou institutionnellement acceptée pour maintenir ces centres ouverts, en particulier pendant la pandémie.
Conditions dans les centres de détention et les camps « d’accueil »
Même si les systèmes de camps sont différents à travers l’Europe, il y a un élément commun à tous les pays : la détérioration des conditions depuis le début de la pandémie. Pour être clair : les normes et règles sanitaires qui sont établies pour toute la société ne sont pas valables dans ces espaces.
En Allemagne, jusqu’à aujourd’hui, aucun camp (grands camps d’accueils où les personnes sont hébergées et assignées à résidence comme de la quasi-rétention) n’a été évacué. A l’inverse : un certain nombre de ces camps ont été mis en quarantaine, donc totalement isolés du monde extérieur, dès qu’un habitant était testé positif. À Suhl, 533 personnes ont été collectivement détenues dans des conditions similaires à celles d’un centre de rétention après qu’un habitant du centre d’accueil a été testé positif pour Covid-19. Au lieu d’isoler la personne seule, les autorités ont confiné tout le camp et la police l’encerclait en permanence pour s’assurer que personne ne sortait. Dans un autre camp collectif, les résidents signalent le manque d’informations concernant le virus et de mesures de protection quasi inexistantes. Un autre exemple choquant est le camp d’Ellwangen où une personne sur deux, sur 500 personnes, a maintenant été testée positive. L’ensemble du camp est verrouillé, des protestations ont éclaté alors que les habitants critiquaient le manque d’informations, l’absence d’une stratégie efficace de protection des personnes et le manque de Wifi dans les sections isolées du camp. La revendication des personnes est la fermeture définitive des camps. Au Danemark, le gouvernement propose de tester les migrants sans-abri pour le virus, mais au moment où ces derniers demandent de l’aide, ils peuvent être retenus et expulsés – s’ils sont sans papiers. Le gouvernement a pris des mesures pour tenter de contenir la propagation du virus dans les centres, ce qui comprend le report de toutes les activités de loisir et de scolarité, la formation et le travail, ne laissant aux résidents aucune activité à l’exception des pauses fumeurs. Cependant, dans des centres tels que Kærshovedgård et Ellebæk, les mesures de distanciation sociale ne peuvent toujours pas être respectées, plusieurs personnes partageant chaque chambre. Il semble qu’une personne présentant des symptômes de coronavirus a été transférée d’un camp au centre de rétention de Sjælsmark et isolée dans une pièce, avec une pancarte sur la porte « Indication d’une infection par Covid-19 ».
Dans les centres de rétention français, les mesures sanitaires ne sont pas du tout respectées. Les conditions d’hygiène sont désastreuses, comme le confirment les photos que nous avons obtenues du centre de Lille. Les visites sont également interdites, la nourriture et l’accès aux soins de santé sont devenus encore plus difficiles et inefficaces, les cellules et les salles communes sont encore plus sales qu’auparavant, car les nettoyeurs ne viennent plus. Dans au moins trois CRA, des prisonniers ont été déclarés positifs au virus et, très tardivement, isolés des autres résidents en étant placés au mitard (et quasiment jamais transférées à l’hôpital). En Italie, l’interdiction pour les résidents d’avoir leur téléphone portable avec eux a été étendue à tous les centres de rétention (CPR); cette mesure donne une base juridique à une pratique déjà utilisée dans le CPR de Turin, sur laquelle les autorités ne reculeront probablement pas après la crise.
On observe une situation similaire en Suisse où des photos et des séquences vidéo de chambres surpeuplées et de cuisines sales utilisées par plus de 80 personnes ont été publiées. Les habitants des camps qui ont été testés positifs ont été mis en quarantaine dans le camp et non dans un établissement médical. À Bâle, plusieurs dizaines de demandeurs d’asile ont été transférés du camp de Bässlergut dans un bunker souterrain. À Zurich, au moins deux camps ont supprimé l’aide financière d’urgence. C’est terrifiant car il s’agit du montant minimum défini par la loi pour survivre. Ces deux camps sont administrés par la société ORS, société privée et à but lucratif, qui fait du profit en incarcérant des personnes dans différents pays européens.
Actes de résistance
Les réponses des États de l’UE au COVID-19 révèlent clairement leurs structures oppressives, et le système d’enfermement et d’expulsion en est un parfait exemple. Les conditions inacceptables provoquent une résistance à l’intérieur et à l’extérieur des camps et des centres de rétention dans toute l’Europe. En Allemagne, les retenus ont manifesté contre la détérioration de leur situation ; dans un camp d’accueil, les résidents ont entamé une grève de la faim. Ils exigent leur libération immédiate des prisons, un hébergement décentralisé et le droit d’accéder aux soins de pour tou.te.s. Des groupes d’activistes à l’extérieur soutiennent les manifestations dans les prisons et les camps et s’efforcent de porter leur voix à l’extérieur. Dans le centre d’hébergement collectif susmentionné de Brême, des résidents et des militants allemands ont lancé la campagne # ShutDownLindenstraße (vidéo de la manifestation du 17 mars, vidéo des manifestations du 2 avril). Les manifestants ont critiqué les soins de santé problématiques, le manque sévère de précautions pour propager l’infection Covid-19, pas d’intimité, pas d’air frais dans les chambres ainsi que le stress émotionnel / mental.
Au Danemark également, il existe une étroite coopération entre les retenus et certains collectifs. Les militants utilisent la radio et les réseaux sociaux pour diffuser les demandes de libération des retenus au public et attirer l’attention sur les troubles dans les centres. L’utilisation de ces canaux est également répandu en Suisse, où des campagnes ont été lancées pour attirer l’attention sur la situation dans les camps et faire des demandes concrètes à la société civile. En outre, la société civile est invitée à ouvrir des espaces privés tels que des hôtels et des airbnbs pour accueillir les personnes enfermées dans les camps d’hébergement. En ce sens, quatre maisons ont été squattées à Zurich.
En France, les révotes au sein des centres de rétention s’intensifient. Il y a une résistance quotidienne contre les flics, les détenus font des grèves de la faim et certains prisonniers ont mis le feu à leurs cellules et matelas pour protester. Toutes les différentes formes de résistance ont pour finaliter de dénoncer les conditions sanitaires misérables et ont des revendications similaires à celles des autres pays : la libération immédiate de tous les retenu.e.s et la fermeture des centres. Des conditions analogues en Italie entraînent des protestations et des révoltes dans les centres de rétention. À Gradisca, une partie d’un centre de rétention a été détruite par le feu. Tout porte à croire que ces protestations ne s’arrêteront pas. La répression inhérente au système d’immigration continuera de susciter des résistances.
Remarques finales
Ces situations révèlent la violence sous-jacente et la nature coercitive du régime de rétention et d’expulsion de l’UE. Dans une UE qui prétend donner la priorité à la santé des personnes, les centres de rétention / prisons peuvent être identifiés comme «une exception à l’état d’exception». Ce que la pandémie rend plus évident que jamais, c’est que la véritable fonction de ces centres est de contenir un petit groupe pour avertir tous les autres. Les centres de rétention ne sont pas seulement des outils pour exercer un contrôle sur les populations racisées, mais aussi une mesure dissuasive pour inspirer la peur à tous ceux qui n’ont pas de séjour régulier dans l’UE. En temps de crise, comme celui que nous traversons, les centres de rétention révèlent finalement leur véritable rôle, ayant perdu la façade institutionnelle qui justifiait rhétoriquement leur nécessité. La déportation était la seule raison qui pouvait être utilisée par les gouvernements européens pour justifier les centres, et elle est en train de disparaître. Les gouvernements de l’UE indiquent clairement que tout le monde ne mérite pas d’être protégé contre la pandémie.
Listing OF CAMPAIGNS AND INFORMATION PLATFORMS
Krav Fra en Pandemi, the Danish platform of the transnational campaign Demands from a Pandemic, whose manifesto includes the demand to close all camps and guarantee health for all:
Latests news of the situations and the revolts happening
Call for mail bombing to the prefectures and solidarity banners
Situation in the CRA of Lille (with some pictures)
Call from the prisoners of the center Mesnil Amelot (close to Paris) to the associations who support migrants to ask the state for a general release
Some informations of the CRA in Lyon and Toulouse
We´ll come United – an open initiative of people from different social, antiracist and political networks in Germany. Follow them on Twitter and Facebook.
Community for All – local network against the deportation prision in Darmstadt, Germany. You can also follow them on Facebook or Twitter.
Together we are Bremen – a group of refugees and supporters in Bremen, that is currently very active protesting the conditions in camps. Follow them on Twitter or Facebook.
Refugees 4 Refugees – Self-organized platform by and for refugees. Follow them on Twitter.
Antirassistische Netzwerk Sachsen-Anhalt – supports the struggles at the reception camp Halbertadt. Follow them on Twitter.
General overview about the current situation in the CPR and revolts happening :
General overview about the current situation in the CPR and revolts happening :