« Je me sens bouillir à l’intérieur, comme si j’allais exploser »

Nous relayons ici le témoignage d’un retenu CRA du Mesnil-Amelot prisonnier depuis 45 jours.

Il entame aujourd’hui la deuxième moitiée de sa periode d’enfermement, sachant très bien dès maintenant qu’il ira jusqu’aux 90 jours devenus légaux et habituels depuis 2018 (loi Asile et Immigration).

A bas les CRA !

A bas l’enfermement !              

 

Je vais faire 90 jours, J’en suis à 42.

Je suis un peu… comment dirais-je… j’ai eu une longue peine, de 98 à.. jusqu’à là il y a 42 jours. Donc de 98 jusqu’à maintenant. Mon problème c’est de rester ici, je veux rentrer mais le consul maintenant il ne veut pas donner de laissez-passer. Bon j’ai une attache ici, j’ai un fils qui est grand, qui est marié. Ma seule attache c’est mon fils ici. Il me laissent pas rentrer et je sais que je vais rester ici. Et ces 3 mois c’est comme… Il s’est passé 22 ans et ces 3 mois là ils sont… c’est les plus durs. C’est les plus durs parce que ici c’est… qu’est ce que je peut dire… je sais pas, je peux pas vous la définir comme ça… c’est vraiment… Ça fait 42 jours que j’ai pas pu voir mon visage déjà. Il y a pas de glace, il y a rien du tout. Tout est dégueulasse, tout est… je sais pas, sale. Je sais pas vous définir.. Il faut toujours aller à la fouille pour quoi que ce soit. Pour se couper les ongles il faut aller à la fouille! on peut pas avoir de coupe ongle ici. Je sais pas vraiment c’est difficile d’expliquer, ça paraît pas grand chose là mais… je saurai pas dire exactement… Bref mon malheur c’est d’être dans un centre de rétention parce que moi je croyais rentrer à la sortie de prison mais non ils m’ont amené ici. Même là bas je crois que je serai en centre de rétention en Algérie. Mais je sais pas pour l’instant.

Après il y a les flics il y en a certains ça va mais il y en a certains c’est des vraiment nazis, pire que des nazis, aucun respect. c’est la façon dont ils parlent, la façon dont ils… il y a une altercation ici avec une surveillante, je l’ai mal pris et… c’est la façon dont ils nous appellent, je sais pas je décris pas je peux pas décrire ça c’est vraiment… certains ils sont corrects et certains ils sont… racistes. Il y en a qui… je peux pas vous décrire, des fois j’ai envie de crier, des fois j’ai envie d’hurler mais.. je m’abstiens, j’me dis non il faut pas euh… si j’me les mets à dos… Je reste toujours un peu à l’écart de tout le monde et comme ici il y a que des jeunes et moi je suis âgé, je suis obligé de m’éloigner.. Ils me gardent ici alors que je partirais pas et ils le savent déjà. Parfois le policier il me dit « tu vas aller à 90 toi, pas le choix ». On est là, c’est un camp de concentration ici. Je te raconte ça je me sens bouillir à l’intérieur, comme si j’allais exploser. Des fois on pense à des trucs, je peux même pas le dire ici.

C’est une double peine j’ai pas vu la liberté depuis.. j’ai vu que le fourgon de gendarmes qui m’a ramené ici. Je me servais pas du téléphone en prison. Que pour appeler mes petits enfants, la famille quoi, mais sinon rien. Et là je dois me servir d’un téléphone et j’ai un peu du mal à m’en servir, je connais pas, j’essaye d’apprendre.

Il m’a donné 28 jours je lui dit « mais vous êtes le juge vous avez les lois, vous avez des textes de lois normalement vous devriez pas me mettre dans un centre de rétention. Vous devez me mettre, à la limite, en résidence surveillée, ce que je veux c’est rentrer chez moi. » J’ai déchiré le papier, j’ai pas signé, je lui ai dit « non je ne reconnais pas ce jugement » Une semaine après encore il m’a envoyé pour passer au tribunal administratif. J’ai accepté d’y aller mais deux jours après j’ai reçu un document avec écrit « RADIÉ ». Qu’est ce que ça veut dire ça? j’ai demandé à une personne à la Cimade. On peut radier un cadre, un avocat du barreau, mais là radié qu’est ce que ça veut dire ? Après elle m’a expliqué, elle m’a dit « votre cas il est un peu spécial » et depuis j’attend. Il m’ont dit que je dois attendre pour repasser au tribunal, pour savoir sur quoi ils auront statué et… pour l’instant j’attends… La Cimade elle fait rien pour moi. Mais je crois qu’elle peut rien faire en fait.

[…]

ça a coupé

[…]

Mais ici les conditions… surtout les conditions des femmes. C’est pénible ici les conditions des femmes. On les voit parce qu’il y a que le grillage qui nous sépare des femmes. Alors quand on sort, prendre un café ou quoi que ce soit, on voit des femmes qui sont démunies, rien du tout, pas d’argent, rien du tout. Des femmes des fois dans des états catastrophiques, et ça me fait mal au cœur. Il y a des femmes qui ont même des enfants ici, d’autres qui sont séparées de leurs enfants. Quand je leur parle c’est émouvant de voir leur situation. Il y a beaucoup de femme d’Asie et surtout beaucoup de femmes d’Europe de l’Est. De temps en temps on discute, on s’offre des cafés à travers la grille. On peut pas toujours parler parce que elles parlent pas toujours français alors on baragouine. Elles sont géorgiennes parfois mais heureusement il y a des géorgiens ici qui parlent avec elles. Les enfants on les voit jamais, ils restent toujours dans leur centre. Mais il y en a une qui vient d’accoucher. Il y a 3 ou 4 jours qu’elle a accouché. Ils lui ont ramené le bébé hier.

Ici, les grèves de la faim c’est pas possible, vous allez manger, vous allez pas manger, ils s’en foutent. Moi je mange rien. Je suis pas allé au réfectoire, jamais, j’arrive pas à manger. C’est rare et difficile mais parfois des jeunes arrivent à passer la fouille pour rapporter un morceau de pain ou du fromage mais j’y arrive pas. Il faut se rendre compte : on peut rien apporter depuis le réfectoire. Je suis allé voir le médecin une fois il m’a dit « il y a rien mais on va vous faire voir le psychiatre. » « Mais j’ai pas besoin de voir un psychiatre! » Il m’a dit « ben oui! il pourra vous donner un petit cachet » Parce que ici tout le monde prends des cachets, tout le monde va à l’infirmerie. Si vous les voyiez on dirait des zombies. Des zombies. Des fois je parle avec eux, je leur dis mais pourquoi vous prenez ça il faut pas prendre ces cachets. Mais ici, si ils peuvent vous endormir, ils vous endorment. Pour pas vous entendre.

Après il y a les vol cachés, ils en ont pris un il y a deux jours je crois. Il y en a souvent. Nous on est un petit groupe au centre et un jour ils ont pris un de nous et c’était fini pour lui : vol caché. Ils l’ont emmené, vol caché. Ici on peut pas lutter collectivement ici. Des fois je parle aux autres et je leur dit qu’il faut lutter collectivement mais ça vient pas, on est trop divisés. Ou alors moi je suis souvent à l’écart et je sais pas. Des vols cachés il y en a plein… Il y a un gars qui a fait 90 jours et, ce jour là les flics ils ont décidé : l’heure à laquelle vous êtes arrivés au CRA sera l’heure à laquelle vous sortirez pour que ça fasse bien 90 jours. Il lui restait 5h pour qu’il puisse être libéré, eh ben ils l’ont saucissonné ils l’ont amené : vol caché.

Sinon il y a même pas une quinzaine de jours, ils ont expulsés 35 géorgiens. Il y a un avion qui est venu depuis la Géorgie avec la police géorgienne à l’intérieur. Ils en ont pris 4 d’ici et les autres depuis d’autres centres de rétention.

Faut tenir jusqu’au bout et même au bout il y a rien de sur. Mais bon on est obligés de tenir. Mais moi je fais fasse à ça. Pendant 22 ans ils m’ont pas détruit c’est pas maintenant que… Mais il y a de la pression ici, franchement j’ai été dans un milieu carcéral mais ici c’est.. des fois vous avez envie de sauter sur quelqu’un, de l’attraper à la gorge, mais je m’dis oh à quoi je pense là.. Et qu’est ce que tu veux faire ils sont en nombre dès qu’il y a une altercation ils sortent à 15 ou 20. on peut rien y faire.. pfff. Il faudrait que l’extérieur puisse voir des images d’ici…

Bon allez je vous souhaite une bonne soirée allez, ciao.

A bas les médecins et les infirmiers collabos !

Le CRA est un des maillons le plus brutal du système de l’expulsion : isolement, harcèlement et menaces, sous-nutrition, attente et ennui, expulsion à tout moment.

Les médecins et les infirmiers collaborent activement au fonctionnement de ces prisons : ils refusent de filer les medocs aux prisonniers-ères qui en ont besoin, ils filent des calmants et similaires aux autres pour shooter les gens et pour essayer de pacifier la situation. On relaie ici le témoignage d’un prisonnier d’un CRA francilien, qui parle de tout ça.

Voilà pourquoi ce n’est jamais un accident si quelqu’un.e crève dans ces taules, comme c’était le cas de Mohamed, mort au CRA de Vincennes le 8 novembre. Le CRA, c’est une boucherie, une machine à tuer.

« Même moi j’ai fait la grève deux jours quand je suis arrivé, mais les policiers ils s’en foutent, et ya 2 mois ils ont fait la grève, les policiers ils les ont menacés de carrément plus donner les repas. Franchement j’ai tout fait pour sortir au jld (juge des libertés et de la détention), je sais pas ce que je fous là, j’ai toute ma famille ici.

Mais je suis allé à l’infirmerie, je leur ai demandé de me donner quelque chose parce que je fume et je voulais me calmer un peu et ils m’ont donné des choses super fortes, j’ai pris leurs cachets je me suis senti hyper mal… et des fois, je fais des crises, parce que j’ai des petits traumatismes de quand j’étais jeune, et l’infirmière, elle me dit que je fais semblant de faire des crises. Et maintenant je suis obligé de prendre ces cachets.

Hier j’ai arrêté de prendre les médicaments, j’étais trop mal, ils ont dit au médecin de descendre, il m’a même pas vu au final. L’autre fois, je suis même tombé sur la tête, ils ont du me ramener à l’hôpital. Des fois, je pète les plombs, on nous trop parle mal, parce que j’en peux plus, ils me ramènent l’infirmière, elle me menace, elle me dit on va te mettre en hôpital psychiatrique, on va te piquer. L’autre fois ils me ramènent au juge, ils m’avaient attaché les pieds, franchement, je vais en finir.

Les policiers ils boivent après ils nous poussent, ils nous insultent, jte jure ça empeste l’alcool. Moi je pète des plombs et après ils envoient des rapports à la préfecture. Pour ça, personne ne parle ils ont peur. »

Tout est fait pour désarmer les personnes qui se retrouvent à l’intérieur… détruites pour être plus facilement expulsable. A l’intérieur, il ne reste plus que le rapport de force direct pour tenter de ne pas complètement se faire bouffer. A l’extérieur, nous devons créer et renforcer la solidarité réelle, qui parte de la parole et des luttes des prisonniers-ères pour entraver et détruire, avec tous les moyens, la machine à expulser.

Pour ça, une assemblée contre les CRA se réunit chaque mercredi à 18h, au CICP (21ter rue Voltaire).

Turin – Grève de la faim au CPR (CRA) de Corso Brunelleschi

Depuis vendredi 22 novembre, les prisonniers de la section « violette » du CPR (CRA en italien) de Corso Brunelleschi à Turin sont en grève de la faim. Ils ont écrit un texte collectif et appellent  les prisonniers des autres sections et les solidaires à l’extérieur à la solidarité et à la lutte.

On traduit ici leur communiqué, paru sur le blog Macerie (autistici.org/macerie). Les conditions d’enfermement qu’ils racontent sont à peu près les memes que celles des CRA français. Leurs révendications aussi.

La lutte contre les frontières n’a pas de frontière !

A bas les CRA, en France, en Italie et partout !

Nous, les retenus de la section violette du CPR de Corso Brunelleschi, demandons à la Direction de communiquer à la Préfecture que le jour 22/11/2019, tous les prisonniers entrent en grève de la faim pour protester contre les éléments indiqués ci-dessous :

  1.  Les temps de permanence pour l’identification sont trop longs (6 mois)
  2. Les conditions dishumaines dans lesquelles on est obligé de vivre
  3. Les lieux insalubres où nous sommes renfermés : des chambres c’est-à-dire des cellules sans fenêtres ni circulation d’air respirable, ce qui produit une manque d’oxygène
  4. Les douches et les toilettes que nous sommes obligés d’utiliser sont dégueulasses
  5. Le retard dans l’approvisionnement de la nourriture, qui arrive à 14h30 voire plus tard
  6. La bouffe est dégueuelasse
  7. Les produits hygiéniques sont quasi absents
  8. L’assistance sanitaire qui ne fonctionne pas
  9. Les passages au tabac de la part des agents
  10. Les 2,50 euros pour les achats ne suffisent pas
  11. Les couvertures ne sont pas lavées
  12. Les pièces qui font 4,20×9,60 mètres carrés, toilettes incluses, avec 7 personnes dedans.