Le 22 juin 2018 en première instance, les juges ont distribué pour les dégradations et le refus de donner ses empreintes et son ADN, à trois compagnons et camarades, des peines de 4 mois ferme, 3 mois ferme et 2 mois ferme, plus des amendes de 1000 euros chacun. Quant aux quatre autres accusé.e.s uniquement des refus de signalétique et de prélèvement biologique, trois ont pris 1 mois de sursis plus 500 euros d’amende, la quatrième ayant pris 60 jours amende à 10 euros, plus 500 euros d’amende.
De 2006 à 2011, une lutte contre la machine à expulser a touché des centaines d’objectifs de manière variée, avec le feu comme avec le marteau ou l’acide, sans compter les balades sauvages et les discussions publiques, ou les idées (affiches, banderoles, tags, tracts) directement adressées à la rue au-delà de tout rapport virtuel. Une lutte sans sujet ni centre politique, qui proposait à chacun l’auto-organisation sans médiation et l’action directe diffuse à partir d’un angle particulier, la machine à expulser, une lutte au nom de la « liberté pour tous et toutes, avec ou sans papiers ».
Après des mois d’enquêtes menées par les petits soldats de la section anti-terroriste (SAT) de la brigade criminelle du 36 quai des Orfèvres et deux vagues de perquisitions en février et juin 2010 dans une quinzaine de domiciles, deux vastes instructions judiciaires furent ouvertes. Elles ont fini sept années plus tard par des jugements qui se raccrochent aux branches, faute d’avoir pu mettre la main sur les anonymes qui avaient mené toutes ces attaques. Après s’être largement dégonflée, la première a ainsi conduit à la condamnation en juin 2017 de trois personnes à 4 mois de prison avec sursis, pour des tags suite à une promenade nocturne (« dégradations en réunion »). La seconde a de son côté conduit aux condamnations citées plus haut (soit, en passant, des peines supérieures à celles demandées par le procureur). En cause ? Des visites inamicales rendues à l’agence Air France de Bastille et à la boutique SNCF de Belleville, qui durent rester porte close pendant plusieurs jours, ainsi qu’une pauvre vitrine d’un magasin Bouygues redécorée dans un même élan (constituant des « dégradations ou détériorations du bien d’autrui commises en réunion »). Ces deux actions s’étaient déroulées le 17 mars 2010, quelques heures après la condamnation à des années de taule de dix sans-papiers accusés de l’incendie du centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes.
A travers le verdict du 22 juin 2018, rendu ironiquement 10 ans jour pour jour après cette même révolte destructrice du CRA de Vincennes, c’est l’ensemble de la lutte contre la machine à trier, enfermer et expulser les indésirables, ponctuée ces années-là de vagues de sabotages, que le pouvoir a souhaité viser en guise d’avertissement contre toutes celles et ceux qui continuent aujourd’hui de lutter contre elle, de Calais à Paris ou de Ouistreham à Briançon. Notamment parce que l’attaque de ces mille et un rouages reste une possibilité toujours actuelle : contre Air France, Bouygues et la SNCF évidemment, et contre beaucoup d’autres encore comme La Poste qui a encore assumé le 1er juin dernier avoir balancé un sans-papier aux flics à Champigny-sur-Marne « parce que c’est la loi ». Sans oublier que des sans-papiers continuent aussi de se révolter à l’intérieur des centres de rétention, comme à Rennes le 10 mai où leur rage incendiaire a réduit de moitié les capacités d’enfermement du lieu.
Mais si l’État n’a pas oublié de boucler sa petite vengeance contre les sept camarades et compagnon.ne.s, y compris de longues années après, c’est aussi pour une petite raison supplémentaire : frapper une manière de lutter et de s’auto-organiser de façon autonome au sein de la guerre sociale. Une manière sans partis, syndicats ni journaflics où l’on se met en jeu à la première personne pour agir directement contre tout ce qui nous opprime, des frontières à l’enfermement, du contrôle social aux guerres technologiques, de l’exploitation à la domination, une manière sans médiation pour en finir avec le vieux monde de l’autorité.
Pour ne donner que quelques exemples, alors que les fins limiers de l’anti-terrorisme ne sont jamais parvenus à identifier les joyeux saccageurs d’Air France et de la SNCF, le tribunal a fourgué 2 mois ferme à un compagnon qui dans l’après-midi est filoché par des policiers de la SAT qui le voient acheter de la colle dans le 18e arrondissement puis le perdent, colle dont la composition chimique au néoprène – la plus courante qui soit – serait la même que celle utilisée pour l’agence Air France du 11e arrondissement. C’est bidon, mais cela suffit à ces larbins pour distribuer des peines de ferme. Car pour tous les accusé.e.s, le fait « d’avoir des centres d’intérêts en rapport avec les mobiles des infractions commises », soit plus prosaïquement d’avoir à la maison des livres, des brochures et des affiches subversives ou d’être présent à des rassemblements en solidarité avec les inculpés de l’incendie du centre de rétention de Vincennes, suffit à justifier pour les charognes en toge l’existence « d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’il/elle ait commis des dégradations en réunion, outre l’existence de raisons plausibles de soupçonner qu’il/elle avait commis une infraction ». Misère de la démocratie totalitaire qui justifie a posteriori à travers du papier saisi en perquisition des peines qui vont jusqu’à 2 mois de prison ferme en jours-amende pour les seuls refus d’ADN et de signalétique, en l’absence de toute autre accusation concernant un fait spécifique.
Les grosses ficelles ont donc été comme souvent de sortie ce 22 juin 2018, ce qui n’est pas une surprise contre des accusé.e.s dont le profil ou le casier correspondent à leur non-collaboration depuis le début de cette affaire : celui d’individus rétifs à la loi. Rien de nouveau sous les fourches caudines de la justice, dont l’objectif est d’effrayer et de punir quiconque s’oppose ou fait obstacle à la marche radieuse de l’ordre social et de la paix des marchés. Qui plus est quand on refuse obstinément de se confesser aux flics, de s’auto-ficher dans leurs poulaillers ou de renier ses idées anti-autoritaires devant les tribunaux. Qui plus est quand on ne se reconnaît pas dans les catégories d’innocent et de coupable, mais qu’on défend l’idée d’une liberté en acte contre le pouvoir.
Les sept camarades et compagnon.ne.s ont fait appel du jugement du 22 juin 2018 prononcé par la 16e chambre du tribunal correctionnel. Après une première audience relais le 2 novembre 2018, le procès en appel s’est tenu mardi 25 juin 2019 à 9h, chambre 11 pôle 4, à l’ancien tribunal (métro Cité).
Chacun peut d’ores et déjà exprimer sa solidarité de la manière qu’il trouvera la plus adéquate ! De la Méditerranée devenue un gigantesque cimetière marin à la mise en camps des migrants qui forcent les frontières terrestres, de la construction de dizaines de nouvelles prisons aux technologies de contrôle de la ville-carcérale et à l’extension des frontières intérieures, saboter la machine à expulser et à enfermer est bien le moins que l’on puisse faire.
Liberté pour toutes et tous, avec ou sans papiers !
Des ennemis de toutes les frontières