Les bateaux quarantaine, ou comment l’Italie enferme en haute mer

On publie ici une réflexion sur une nouvelle forme de retention administrative qui est apparue et s’est développée depuis un an aux frontières méridionales de l’Europe, et en Italie notamment. Avec l’excuse de la pandémie, les Etats européens n’arretent pas de tester des nouvelles formes de controle des frontières, d’enfermement et d’expulsion. Mais ceux et celles qui les subissent y résistent tous les jours, meme lorsqu’iels sont enfermé.e.s dans des « CRA flottants ». A nous de soutenir leurs luttes.
Sur la terre comme en mer, liberté pour tous et toutes !
A bas les CRA et les frontières !
Depuis bientôt un an, un nouvel dispositif d’enfermement pour personnes étrangères existe au large des côtes d’Italie – et pas que. Les bateaux quarantaine, ferries de croisière désaffectés en raison de la pandémie et réaffectés à la quarantaine des migrant.e.s, rendent la guerre menée par l’Etat italien contre ceux et celles qui passent les frontières encore plus efficace et chirurgicale. Si en théorie ces bateaux servent à « assurer la santé » de ceux et celles qui y sont enfermé.es,  ils se sont transformés en véritables centres de tri et d’expulsion.
État d’ugence et bateaux quarantaine 
Tout commence en avril 2020, lorsque la pandémie du coronavirus explose partout et que les frontières des états européens ferment. Le 7 avril 2020, on déclare que les ports italiens ne sont pas ‘place of safety’, c’est-à-dire des endroits sûrs où faire débarquer les personnes qui viennent de la Méditerranée (1). Par conséquent, le 12 avril, l’Etat décide de louer des bateaux de croisière à des compagnies privées. L’appel d’offre est signé par la Protection civile italienne, et souscrit par le Ministère de l’Intérieur et celui des transports. À bord des ferries travaille le personnel de la Croix Rouge. Au début, ces bateaux sont conçus pour la contention des personnes sauvées en mer par les ONG – mais par pour celles et ceux qui débarquent de façon autonome sur les côtes italiennes. Le fonctionnement est apparemment simple : tout le monde est soumis à un test, celles et ceux qui sont négatif.ives sont mis.es en quarantaine pendant 15 jours, au bout desquels ils.elles sont libéré.es. Les autres restent à bord jusqu’à ce que leur test soit négatif. Évidemment dans les espaces fermés d’un bateau il est très difficile de contrôler la diffusion de la maladie, ce qui mène à enchainer des quarantaines qui ne se terminent jamais. Au départ on compte deux ferries, mais très rapidement, à la fin de l’été cinq bateaux mouillent au large des côtes italiennes. Ironie du sort : un des premiers bateaux loué à cette fin, le ‘Raffaele Rubattino’ de la Compagnie de Navigation Italienne, porte le nom de l’amiral qui acheta la baie d’Assab en 1870 au nom du royaume d’Italie, débutant l’aventure coloniale italienne en Afrique orientale qui sera ensuite poursuivie par le régime fasciste.
 
Au fil du temps, la situation sur la terre ferme s’empire et il n’y a littéralement plus de place pour enfermer dans les centres d’accueil, les centres de rétention et dans les hotspot (2), à cause également de la fermeture des frontières. On commence alors à transférer sur les bateaux les personnes qui se trouvent déjà sur le sol italien. Les bateaux quarantaine deviennent des véritables hotspot flottants : les personnes y sont amenées sans recevoir aucun type d’information juridique sur leur situation – à bord il n’y a que le personnel de la Croix Rouge qui ne fournit pas de suivi juridique -, souvent on leur fait signer des papiers sans traduction et une fois qu’elles descendent elles sont amenées directement dans les CPR (3). Au cours de l’été, il arrive même que des migrant.es en voie de régularisation mais testé.es positif.ves au coronavirus soient amené.es sur un bateau, et qu’à cause de l’isolement et du manque d’information, ils et elles soient exclu.es du parcours d’accueil (4). Cette situation provoque l’indignation des associations humanitaires qui se décident enfin à prendre la parole et à dénoncer ce qui se passe dans ces lieux d’enfermement.
 
Entre temps, le tri et les expulsions continuent : en particulier, les personnes tunisiennes passent souvent du bateau à l’avion, ou sont même expulsées par bateau (5). Ceci est permis par les accords entre la Tunisie et l’Italie – signés entre autres par la même ministre de l’intérieur italienne qui est une des signataires de l’appel d’offre pour la location des ferries de quarantaine. Ces traités autorisent le rapatriement forcé des citoyen.es tunisien.nes arrivé.es en Italie, ainsi que l’enterrement des déchets italiens en sol tunisien, en échange d’importantes sommes d’argent (6). Ordures et êtres humains : ce que l’Etat italien pense des personnes tunisiennes qui arrivent par mer est assez évident. En septembre, à la fin d’un été qui a vu reprendre la circulation touristique et les expulsions depuis l’Europe vers de nombreux pays d’Afrique et du Moyen Orient, un deuxième appel d’offre est lancé par la Protection civile (7). Cette fois une seule compagnie remporte l’appel d’offre, l’entreprise GNV (Grandi Navi Veloci), tandis que la Croix Rouge reste prestataire de service à bord des bateaux. Depuis, on compte 9 bateaux quarantaine à bord des côtes de la Sicile, de la Calabre et des Pouilles, où l’on continue d’enfermer, trier et expulser les migrant.es.
Lutte et résistance sur les bateaux 
Ce qui est intéressant à remarquer, c’est le lien qui existe entre ce qui se passe sur les bateaux et ce qui se passe dans le hotspot de Lampedusa, d’où viennent la plupart des personnes enfermées en mer pendant l’été. Le 11 août une manifestation coordonnée a lieu dans le centre de l’île et sur le bateau Azzurra de GNV, pour dénoncer les conditions inhumaines de détention. Quelques semaines après, ce sera à cause des menaces du maire de Lampedusa, qui annonce une grève générale sur l’île, que le gouvernement décide de louer un nouveau ferry destiné à la quarantaine des personnes migrantes (8).
 
Par ailleurs, la manifestation du 11 août n’est pas un acte isolé : des résistances collectives et individuelles existent depuis la création des bateaux quarantaine. Les moyens de révolte sont divers, comme c’est le cas dans les centres de rétention : automutilation, grève de la faim, incendie, et aussi quelques belles tentatives d’évasion. Le 21 novembre dernier, alors que le bateau accoste au port pour se réapprovisionner, un groupe des personnes arrive à s’évader du ferry Rhapsody de la GNV, profitant d’une échelle en bois et de l’absence de la police (9). La dernière manifestation remonte au 15 mars dernier, lorsqu’un groupe de personnes tunisiennes enfermées sur un bateau de la GNV bloque un des ponts du ferry et fait circuler une vidéo qui montre les conditions d’enfermement (10).
 
La répression est aussi violente dans ces lieux, même si la police n’est pas présente à bord. Souvent par contre elle est présente au moment où le bateau accoste pour ‘gérer’ le débarquement des personnes enfermées. Il n’y a plus seulement les centres d’accueil et les hotspot qui sont militarisés, surveillés H24 par des militaires, face à la rage montante de celles et ceux qui y sont enfermé.es sans soin et sans information. En septembre, lorsque plusieurs centaines de migrant.es sont censé.es débarquer au port de Bari à la fin de leur quarantaine, suite au test positif d’une personne, on empêche à tout le monde de descendre. Les gens, à bout après plusieurs semaines sans aucun soin réel, s’enragent et essaient de débarquer. Ils et elles sont chargé.es par la police qui rentre jusque sur les ponts pour matraquer ceux et celles qui veulent descendre (11). Depuis leur mise en place, les bateaux quarantaine ont déjà tué trois personnes : au mois de mai, une personne tunisienne se suicide en se jetant depuis le pont du bateau Moby Zaza ; en septembre Abdallah, un mineur migrant, meurt à l’hôpital de Palerme de tuberculose, suite au manque de soins à bord du bateau où il était enfermé, tandis que quelques semaines plus tard, en octobre, Abou, âgé de 15 ans, meurt au bout de 15 jours de quarantaine à bord du bateau Allegra, à cause du manque de soins (12). Encore une fois, les frontières et les Etats tuent, quel que soit le dispositif qu’ils décident d’employer.                             
La détention administrative “off-shore”
Il faut dire que cette idée ne vient pas de nulle part, mais qu’elle a des précédents dans l’histoire d’Italie et plus en général de l’Europe et du monde. La détention administrative offshore est de fait pratiquée en Australie, où existent des véritables île-prison pour les immigré.es (13). En Italie, en 2016, le ministre de droite Alfano propose de construire des centres de détention offshore, mais l’Union Européenne déclare que cette proposition viole les droits humains (14). Il aura fallu une autre ministre seulement quatre ans après pour convaincre l’Europe de cette bonne idée et pour le faire réellement… D’ailleurs, on ne peut pas dire que des formes de détention administrative offshore ‘informelle’ n’étaient pas déjà pratiquées avant dans la Méditerranée. Il suffit de penser au blocus des ports pour les ONG en 2019, qui a mené des centaines de personnes à passer des semaines enfermées sur des bateaux au large des côtes italiennes. Ou encore à la répression de la piraterie somalienne par les empires européens, qui a permis d’expérimenter et ensuite de transformer en lois un arsenal répressif permettant la détention offshore. Entre 2009 et 2011, plusieurs pirates arrêtés par les armées italienne, française et anglaise coordonnées au sein de l’opération européenne Atalanta ont été détenus pour de longues périodes sur des bateaux militaires, dans l’attente de décider dans quel tribunal ils allaient être jugés. Suite à cette guerre à la piraterie, la France passe une loi en 2011 qui crée un « un régime sui generis pour la rétention à bord » des pirates sur le modèle de la détention administrative, et qui autorise la privation de liberté sur les avions, bateaux etc., qui deviennent ainsi des zones de non-droit (15).
 
De lieux d’isolement sanitaire à prisons flottantes, les bateaux quarantaine permettent à l’Etat italien, et par conséquence à l’Europe, d’externaliser encore plus ses frontières, et d’affiner la machine à expulser. Ce n’est pas un hasard s’ils ont été mis en place en Italie, et plus précisément dans le sud de l’Italie, à Lampedusa, et que quelques mois plus tard deux bateaux quarantaine ont fait leur apparition à Malte et à Lesbos (16) : des lieux périphériques, aux frontières de l’Europe, des endroits clés pour le contrôle des mobilités. Comme les camps en Libye, ces ferries relèvent d’une gestion néocoloniale des migrations et des frontières. Parallèlement à la mise en place de ce dispositif, l’agence européenne Frontex a annoncé qu’à partir de janvier 2021 la mer Méditerranée sera surveillée par des drones… achetés à Israël, un état envahisseur et colonisateur.
 
Encore une fois, ceux qui font de l’argent sur les corps de prisonnier.es sont les entreprises privées, et la Croix Rouge, professionnels de l’enfermement des migrant.es. C’est vers eux que va toute notre haine. En Italie comme partout, le seul intérêt de l’Etat est de mieux contrôler et enfermer. Les résistances des prisonnier.es, sur les bateaux quarantaine comme dans les CRA, nous montrent la seule voie face à la machine des expulsions : la détruire.
 
Une grève de la faim a démarré dans un bateau-quarantaine début avril. Voici le témoignage des prisonniers en lutte, en arabe et en italien:

https://www.facebook.com/comitatolavoratoridellecampagne/posts/4241296739269752?__tn__=K-R

Faisons tourner !
 
(2) Les hotspot sont des lieux d’enfermement servant à identifier, enregistrer et prendre les empreintes digitales des migrants arrivant.
(3) CPR, centres de permanence pour le rapatriement, équivalent italien des CRA.

Jusqu’au 2 février : Un appel à la mobilisation contre les CRAdepuis l’Italie

Suite aux derniers évènements dans les prisons pour sans-papiers, des camarades en Italie appellent à une semaine d’actions contre les CPR (CRA), pour la libération de toustes les prisonnièrs. Soyons nombreux-ses en France aussi à montrer notre solidarité.

A bas l’enfermement et les frontières, en Italie comme en France et partout ailleurs !

Voici le texte d’appel traduit en italien (d’autres témoignages et infos après l’appel) :

DU 27 JANVIER AU 2 FEVRIER: SEMAINE D’ACTIONS
ET DE MOBILISATIONS POUR LA FERMETURE DE
TOUS LES CPR, POUR LA LIBÉRATION IMMÉDIATE DE TOU.TE.S LES DETENU.E.S ET POUR VAKHTANG

Le 18 Janvier, Vakhtang Enukidze est mort a l’hôpital de Gorizia après avoir été battu à mort par les forces de l’ordre entre les murs du CPR (1) de Gradisca d’Isonzo (Frioul-Vénétie Julienne).
Les détenus nous l’ont rapporté, le 18 janvier au soir, alors que, ayant appris la mort d’une personne, nous nous étions retrouvés devant le CPR pour leur parler. Ils nous l’ont crié par dessus les murs, nous ont appelés et nous ont envoyé des vidéos, avec tout
le courage de ceux qui savent que personne d’autre ne sait ce qui s’est réellement passé au sein du CPR.

La préfecture de police et le ministère public ont tout fait, dès le début, pour minimiser sa mort : « mort d’un migrant lors d’une rixe » titraient les journaux le lendemain de la publication de la nouvelle par Melting Pot (2). Néanmoins, nous somme parvenus à faire entendre la voix des détenus, comme tant d’autres solidaires l’avaient fait avant nous pendant des années. Ainsi de nombreuses personnes dans toute l’Italie ont pu entendre leurs témoignages. Le lendemain, dimanche 19 Janvier, beaucoup d’entre nous sont retournés devant le CPR, tandis que les détenus nous appelaient, fuyant les coups qui – nous disaient-ils – étaient réservés à ceux qui parlaient avec les personnes présentes dehors. Les directives semblaient claires: plus aucune communication avec l’extérieur. La nuit, les gardes ont tenté de saisir tous les téléphones portables, une « récupération » que le ministère public a justifiée « aux fins de l’enquête ».

Cette même nuit, un député et un avocat sont venus visiter le CPR à l’improviste, y trouvant les agents des forces de l’ordre en tenue
antiémeute et les ont entendus parler du sang présent dans l’établissement. La presse a alors commencé à rapporter la version des camarades de Vakhtang: battu à mort par la police, un nouveau cas « Cucchi » (3), étranger cette fois, et dans un CPR et non une prison. Le procureur a rapidement déclaré que les éléments de cette version n’était que « des rumeurs ». Le 21 Janvier à 4 heures du matin, les trois compagnons de cellule de Vakhtang, qui faisaient partie de ceux qui s’étaient déclarés prêts à témoigner, ont été déportés en Égypte sans que personne ne le sache. C’est ainsi
que le « ministère public enquête », comme nous le disent les journaux.

Lorsque la version des témoins a filtré, la presse a directement étiqueté l’assemblée qui transmet les voix des détenus comme un groupe d’extrémistes et d’incitateurs à la révolte – comme si les révoltes avaient besoin d’une incitation extérieure -, essayant ainsi de la délégitimer. Dans un même temps, de multiples tentatives de saper la crédibilité des détenus ont été faites. Vakhtang a été décrit comme violent, toxico et automutilateur, description visant à diminuer l’empathie envers lui. Les détenus en général sont décrits comme des violeurs, des trafiquants de drogue et/ou des criminels.

Vakhtang était une personne vivante, avec ses propres rêves, enfermée dans un enfer carceral créé par des lois racistes. Dans tous les CPR italiens se trouvent des détenus enfermés dans des camps du simple fait de ne pas avoir de documents en règle.Leur emprisonnement ne se termine pas toujours par une expulsion, les détenus etant souvent libérées avec un « foglio di via » (4) qui les oblige à vivre dans la clandestinité.

Les personnes déportées, en revanche, se retrouvent contraintes de rentrer dans leur pays d’origine sans possibilité de revenir en Italie, où certains ont toute leur vie et leur famille, ainsi ramenées au point de départ d’un terrifiant voyage déjà affronté au moins une fois. La menace d’expulsion est la plus grande qu’une personne non
européenne puisse recevoir: le CPR, théâtre d’abus et encore pire que la prison, sert à rendre cette menace réelle. Elle contraint les gens a accepter des conditions de travail inhumaines, afin de maintenir un emploi, sésame en vue d’une carte de séjour.

La loi suivra son cours et peut-être qu’un jour quelqu’un sera jugé coupable. Mais il nous appartient maintenant de ne pas laisser le meurtre de Vakhtang passer inaperçu et de faire tout notre possible pour que tous les CPR soient définitivement fermés. Encouragé.e.s par la réponse de solidarité reçue de toute l’Italie, nous lançons un appel à une semaine d’actions et de mobilisations en vue de la fermeture de tous les CPR, pour la libération immédiate des personnes qui y sont enfermées et pour Vakhtang.

Nous invitons donc tous les individus, assemblées, groupes, associations, organisations, comités à faire tout leur possible pour atteindre cet objectif. Convaincus que chacun peut exprimer sa colère et sa dissidence comme il l’entend, nous pensons qu’est venu le moment d’agir. Que chacun.e s’organise la où il vit. Faisons en sorte que ces lieux infernaux ferment.

 

Si vous souhaitez nous informer des initiatives ou des actions a venir, vous pouvez nous
écrire (italien, espagnol, anglais, français, etc.) à: nocprnofrontieretrieste@riseup.net

 

(1) les CPR, Centri di Permanenza per i Rimpatri, ou Centres de rétention pour les
rapatriements en Francais, sont l’équivalent italien des CRA (Centres de Rétention
Administratif) dans lesquels la détention est possible jusqu’a une durée de 6 mois.
(2) https://www.meltingpot.org/
(3) Stefano Cucchi est un jeune Italien battu à mort par la police alors qu’il était en
détention provisoire à Rome le 22 Octobre 2009.
(4) Interdiction du territoire d’une commune, par exemple.

 

no cpr e no frontiere. né in fvg né altrove. libertà!

Vidéo d’une intervention de la police au sein du CPR.
Link1: http://nofrontierefvg.noblogs.org/files/2020/01/WhatsApp-Video-2020-01-18-at-
18.40.35.mp4?_=1
Link2: https://www.facebook.com/nocprfvg/videos/478605026408512/

Témoignage (en Italien) d’un détenu sur les faits qui menèrent à la mort de VakhtangLink: https://nofrontierefvg.noblogs.org/post/2020/01/19/testimonianze-sappiamo-chi-
e-stato/

Plus d’infos: Assemblea No CPR no Frontiere Friuli-Venezia Giulia
https://nofrontierefvg.noblogs.org/
https://www.facebook.com/nocprfvg/

Italie : révoltes et morts dans les prisons pour sans-papiers

Ces dernières semaines en Italie une vague de révoltes et évasions traverse les prisons pour sans papiers du nord au sud du pays. Voici quelques récits de résistance et répression qui nous sont arrivés de l’autre côté des Alpes, traduits et recoupés du blog hurriya.noblogs.org.

Turin

Depuis six mois désormais le CPR de Corso Brunelleschi à Turin n’arrête pas de brûler. Malgré la destruction de deux bâtiments l’administration du CPR a voulu garder un nombre élevé de détenus, à peu près cent, en utilisant la cantine comme chambre et entassant les gens les unes sur les autres. Dans la nuit du 5 janvier trois airs de la prison pour sans papiers ont pris feu, en laissant un seul bâtiment à l’abri des flammes. Les reclus sont sortis dans la court, entourés par la police, alors qu’à l’extérieur un groupe de personnes étaient venues porter leur solidarité en criant « Liberté » et « Feu aux CPR ». Face à la destruction des trois airs du CPR, l’administration a été obligée de libérer certains prisonniers, au moins six dont malheureusement une personne a été expulsée.

Après la révolte, les flics sont entrés dans le centre, ils ont tabassés les prisonniers et arrêtés sept personnes, qui ont été amenées à la prison de Le Vallette, toujours à Turin. Des sept, un a été renvoyé directe au CPR tandis que les autres sont passés en comparution immédiate. Le procès a été renvoyé en avril et ils ont été ensuite renvoyés au CPR, en isolement et sans téléphone.

Le 11 janvier un rassemblement en solidarité aux détenus a eu lieu devant le CPR, en même temps qu’un rassemblement à Rome devant le CPR de Ponte Galeria, et un à Gradisca. Après les premières interventions au micro, quelques détenus montent sur le toit du bâtiment bleu, le seul qui n’a pas été touché par les flammes. La situation reste tendue à l’intérieur, les prisonniers n’arrêtent pas de protester pour obtenir des matelas et des couvertures, vu qu’après l’incendie il ne reste plus que 30 places dans le centre, alors qu’il y a au moins 80 personnes détenues. Le rassemblement s’est terminé par un cortège deter de près de 150 solidaires qui a traversé le quartier et est revenu sous les murs du CPR pour crier « Liberté ! ».

Lundi 13 les flics sont rentrés dans le centre pour arreter 5 personnes accusés de resistance et dégradation, ils ont passé au tabac les gens, y en a deux avec mains et pieds cassés. Ceux qui étaient enfermés dans la zone verte qui a été détruite par la révolte ont été transferés dans la zone violet, qui a réouvert après la révolte du mois de novembre. Plus de dix personnes ont été expulsées. Avant de partir les flics ont pris les téléphones de gens pour empecher les détenus de communiquer avec l’extérieur. Evidemment les nombreuses vidéos et audios qui ont tourné depuis la révolte dérangent pas mal l’administration du centre gérée par Gepsa et les flics.Les arrestations, passages au tabac et saisies de téléphone montrent la volonté de la police et de la Questura d’empecher la communication avec l’extérieur et de faire sortir la verité sur ce qui se passe dans le centre. Entretemps les journaux font leur sale boulot en décrivant « les auteurs de la révolte » comme des monstres, radicalisés islamistes, pour empecher toute empatie et solidarité de l’extérieur et effacer les vraies raisons de leur resistance. À en rajouter une couche, l’hypothèse encore une fois que les révoltes ont été provoqués, ou encore mieux planifiées pour emprunter les mots des journalistes, par des membres de la « mouvance anarchiste ». Une hypothèse rassurante pour les institutions. Si cette hypothèse était vraie, il suffirait d’arreter, reprimer et isoler ces quelques agitateurs. Mais la réalité est bien différente, et ce qui ne peut pas etre caché derrière les murs des cpr c’est la determination et le courage de ceux et celles qui ont subit la detention et ont lutte contre ça pour regagner leur liberté.

 

Gradisca

Depuis le 16 décembre une nouvelle prison pour sans papiers a ouvert à Gradisca di Isonzo, à 40 km de Trieste. Il faut rappeler que ce centre avait fermé à la suite des révoltes contre les flics, des conditions invivables, et le meurtre d’état en 2013 d’Abdelmajid El Kodra. Le préfet avait donc présenté ce nouveau centre comme une « prison administrative à haute surveillance », avec un « système de vidéo-surveillance, avec plus de 200 cameras ».

Mais il est connu que la passion pour la liberté est plus fort de toute cage, et il a pas fallu beaucoup pour que des nouvelles résistances se mettent en place dans le CPR de Gradisca. Quelques jours après la fin de 2019, trois personnes se sont évadées, seulement une des trois a été retrouvée à Verone. Quelque cas d’automutilation a été signalé pour résister aux déportations.

Après le rassemblement du 11 janvier, une révolte a éclaté dans la nuit entre le 11 et le 12. Les militaires sont rentrés dans le centre, ils ont tabassé les détenus et ils ont pris les cartes sim de certaines de personnes qui avaient pu parler avec les solidaires pendant le rassemblement. La révolte a continuée, 8 personnes ont pu s’évader dont seulement trois ont été retrouvées. Les trois ont été passés au tabac par les flics, un d’entre eux a été amené à l’hôpital. Un jeune marocain a tenté le suicide mais ses codétenus ont pu l’empêcher. Dans la nuit du 13 janvier, les flammes étaient encore visibles, celles de matelas brûlés pour se réchauffer à l’intérieur.

Après la mort de Vakhtang Enukidze le 18 décembre plusieurs révoltes ont eu lieu dans le centre de rétention. La répression des flics n’a pas tardé à se manifester : les téléphones ont été confisqués soi disant « aux fins de l’enquête » et les trois personnes qui dormaient dans la même chambre de Vakhtang et qui étaient prêtes à témoigner ont été déportées en Egypte. Tout cela est fait pour empêcher les prisonniers de communiquer avec l’extérieur et de raconter la vérité sur la mort de Vakhtang.

Entre-temps, la presse joue le jeu des institutions. D’abord les journaux parlaient d’une bagarre entre détenus suite à laquelle Vakhtang serait mort, maintenant ils décrivent le groupe des personnes solidaires avec les prisonniers comme des ultras qui incitent à la révolte les personnes à l’intérieur du centre. Comme s’ils avaient besoin d’être incités pour se révolter contre la cage où ils sont enfermés.

Un appel à une semaine d’action contre les CPR et pour la mort de Vakhtang a été lancé par les personnes solidaires de l’assemblée contre les CPR de Trieste (il est en cours de traduction).

Macomer (Sardaigne)

Un nouveau CPR vient d’ouvrir le 20 janvier dernier. La structure est une ancienne prison. Les deux  questure de Cagliari et Nuoro sont en train de gérer les transferts, le centre commence à se remplir. Le gérant est la boîte suisse Ors.

 

Caltanissetta (Sicile)

Après la mort de Aymen Mekni le 12 janvier dernier une révolte et un incendie ont éclatés dans le centre. L’autopsie n’a toujours pas donné de résultats (on dit qu’ils seront disponibles dans un mois) et le corps a été rendu à la famille. L’État cherche à accélérer les déportations pour éviter d’éventuels témoignages contre les flics.

Lundi 20 janvier un fonctionnaire de l’ambassade du Gambia est arrivé au centre pour la procédure de rapatriement de 5 détenus gambiens. Les 5 ont résisté, en lançant des objets et du mobilier. Vingt flics en tenue anti-émeute les ont ensuite forcé à se soumettre à l’audition avec le fonctionnaire.

Vendredi 17 janvier un député de gauche a visité le centre, et il a demandé la fermeture du centre « du moins jusqu’au moment où seront faits tous les travaux nécessaires à améliorer la structure ». Comme d’habitude, la gauche institutionnelle approuve ces prisons, pourvu qu’elles soient plus « aptes »… Samedi dernier un rassemblement avait eu lieu devant le centre, organisé par le réseau antiraciste de Catane.
Les dommages provoqués dans ce centre par les révoltes de janvier et de septembre et octobre 2019 sont encore bien visibles. La plupart des fenêtres, murs, mobilier et toilettes ont été détruits, et un appel à offre a été lancé pour les travaux de renouvellement et élargissement, pour un total de 852.000 euros, qui sera ouvert jusqu’au 30 janvier 2020. Le but est de passer de 96 places officielles à 144. À cause des incendies, certains airs sont maintenant inaccessibles, les places ont été réduites à 72 et en ce moment y a environ 70 personnes enfermées, dont certaines sont obligées à dormir dans les locaux de la cantine.

 

Trapani et Caltanissetta (Sicile)

Début 2020 une révolte a éclaté au centre de rétention de Trapani, où a été transférée une partie de détenus du CPR de Turin après une révolte au mois de novembre. Trois bâtiments ont pris feu, et une partie de la prison reste inutilisable.

Le 12 janvier au matin, un détenu de 34 ans d’origine tunisienne, M.A., a été retrouvé mort dans son lit dans le CPR de Caltanissetta. Ses codétenus ont exprimé leur rage en détruisant la cellule et le reste du bâtiment. Les prisonniers ont été forcés par les flics à dormir à l’extérieur, sans couvertures, et ils ont refusé de manger. Le lendemain, au petit matin, la police est rentrée dans le centre et a arrêté trois personnes. À présent on sait pas où ils ont été amenés.

Le récit d’une personne détenue dans cette prison :

« Il avait 34 ans, il était né le 1 février 1986. Hier au matin, vers 8h, on nous a prévenu qu’il était mort dans sa chambre, mais dans cette chambre il n’y avait pas de chauffage, il faisait très froid. Ils ont essayé de le bouger, il y avait du sang sur sa bouche, on ne sait pas quel était le problème pour lequel il est mort. C’était ça notre rage. Et donc on a protesté, on a brûlé sa chambre, après on a manifesté dans le centre. Hier on a dormis à l’extérieur, avec le froid qu’il fait. Hier on a tous manifesté, à midi on a refusé de manger, à cause de notre rage. Ce matin on était fatigués quand on s’est réveillés, certains ont dormis à l’extérieur, d’autres dans un trou de chambre où il n’y a ni porte ni fenêtre, avec cette peine. À 7h la police est rentrée là où on dormais, ils ont amené une ou deux personnes à l’extérieur, je ne sais pas où ils les ont amenés, si en prison ou s’ils les ont expulsés. Nous demandons la fermeture du centre, parce que les conditions sont très mauvaises, on ne peut pas mettre des personnes normales dans ces conditions, dormir comme ça, la bouffe est dégueulasse. L’infirmerie est nulle, si t’as mal à la tête ils te donnent le même médoc, si t’es enrhumé ils te donnent le même médoc. Certains disent qu’ils mettent des choses dans la bouffe, on en sait rien, mais certains soupçonnent ça, quand on mange, certains vont tout le temps aux chiottes, les autres sont fatigués et ils ont sommeils. »

L’administration a évidemment minimisé, disant qu’il s’agit d’une mort pour causes naturelles et que l’incendie n’a pas causé trop de dégâts, mais les détenus ont été obligés de dormir à l’extérieur. Les morts d’état comme celle de M.A. sont cachées par l’administration, seulement la voix des personnes enfermées peut faire sortir la vérité, comme ça a été le cas pour Sahid, tué en juillet 2019 dans le CPR de Turin, ou encore de Harry en juin 2019 à Brindisi et Natalia dans la section pour femmes du CPR de Ponte Galeria à Rome, en novembre 2018.