« C’est ignoble ce qu’ils font » Une proche d’un prisonnier du Mesnil témoigne

Les effets de l’enfermement, en prison comme en CRA, n’affectent pas que les prisonnier.e.s mais aussi leur entourage : des heures d’attente pour aller au parloir, les abus de la part des flics pendant la fouille, le mépris des juges. En ces temps d’épidémie, à cela se rajoutent l’interdiction des visites et la peur de la contagion, en plus du manque d’information et l’absence des mesures sanitaires à l’intérieur des centres de rétention. Malgré ça, les proches n’arrêtent pas de soutenir les prisonnier.e.s au quotidien et dans leurs luttes. Ici nous relayons la parole d’une entre elles, quelques jours après la dernière révolte qui a eu lieu.

Mon copain est enfermé au centre de rétention du Mesnil Amelot, y a pas du tout de sécurité, la maladie y est, il y a bien de personnes malades de Covid-19 mais on en parle pas, dès que quelqu’un en parle il est menotté et envoyé ailleurs. Mon chéri est enfermé là bas depuis le 6 avril, il a tous les papiers qui prouvent qu’il est européen, qu’il habite en France depuis vingt ans, le seul papier qu’il n’a pas c’est la nationalité, par contre moi j’ai la nationalité, on a un enfant qui a la nationalité, qui est né ici, il suit les cours ici, va à l’école, on a toutes les impôts, tous les papiers prouvant que mon conjoint habite bien ici, à telle adresse, ils (la police) changent l’adresse, ils changent le nom, ils disent tout ce qu’ils veulent, ils veulent relâcher les gens.

– Tu veux dire qu’ils ont fait des faux papiers ?

– Écoutez, ils lui ont donné un papier disant qu’il n’habite pas en France, qu’ils n’ont pas de preuves, il m’a dit que le nom c’est pas son nom, ils ont inversé des lettres. Après ils ont marqué qu’il n’a pas de famille en France, or c’est faux. On ne me laisse pas lui donner de papiers, on n’a pas droit de communiquer quoi que ce soit, tout est fermé, si on ouvre la bouche toute suite c’est la prison. Malheureusement il est sorti de prison parce qu’il a fait une petite bêtise, en 2009, il a été jugé pour deux mois de prison ferme, donc il a fait deux mois, il est sorti et il ne savait pas, il a été amené directe au CRA, alors que je l’attendais à la maison. Il était à la prison de Nanterre.On lui a dit qu’il va être expulsé de France pendant trois ans, alors qu’il a une femme, il a des enfants, un travail, il paie ses impôts, il vit ici. Il a un passeport polonais, il a la pièce d’identité, il a un papier français périmé, la carte de séjour, il a fait un recours mais on lui a dit que c’était pas la peine parce que nous sommes européens, et du coup on lui a pas renouvelé, d’autant plus nous sommes dans l’espace Schengen.
Et pourtant il est enfermé là bas, il ne peut rien dire, on lui dit qu’il n’a pas de papiers, qu’il va être expulsé. On veut pas le relâcher et il y a le Covid-19 qui est au centre. Aujourd’hui je réclame vraiment qu’il soit libéré au plus tôt possible. Parce que déjà il a été enfermé pendant deux mois alors que l’histoire elle date de 2009, nous sommes en 2020, ils sont venus le chercher, ils l’ont menotté.

– Il était au centre ce week-end, pendant la révolte ?

– Exactement, on essaie de joindre tout le monde pour qu’on puisse les libérer, y a pas de masques, y a pas de gel, y a pas de shampoing, y a rien du tout, les wc sont blindés de caca, tout est sale. Ils sont en train de manger en se touchant les coudes, ils dorment par deux dans les chambres, c’est humiliant. Après la protestation on leur a pris les matelas, on leur a pris les couettes, ensuite ils ont tout mélangé et leur ont donné, sachant qu’il y a le Covid-19 dans le centre ils le gardent là bas. J’exige qu’ils soient libérés. Franchement ils attendent quoi ? Qu’ils soient malades pour le relâcher et qu’ils rentrent à la maison et qu’ils nous filent la maladie ?
On est européen, on est dans Schengen, il a le droit d’être là. On nous impose d’être séparé alors qu’on est une famille, on veut vivre ensemble. On a tout, imaginez si on achète un appartement en France, on le fout dehors et l’appartement qu’est-ce qu’il en est ? On ne fait jamais ça dans un pays européen à une personne, qu’elle soit européenne ou pas, on est tous des êtres humains. On dit qu’il y a que des personnes en situation irrégulière là bas, mais c’est faux, il y a des Portugais, des Roumains, des Polonais. Qu’ils viennent pas nous dire que ce sont des sans papiers parce qu’ils ont des familles en France, tout le monde a des familles ici. C’est pire que la prison, on leur impose quelque chose qui n’est pas de leur choix, ils ont payé leur dette en prison, ils ont déjà été enfermés, pourquoi payeraient-ils plus cher ?

– Il a subi une répression suite à ce qui s’est passé au centre ?

– On lui a viré toutes ses affaires, il a été obligé de ramasser toutes ses affaires par terre, les autres personnes qui ont témoigné, les porte-paroles ont été menottés, ils les ont tapé sur les bras, les jambes, ils les ont mis d’un côté pour les amener ailleurs. Où est la loi ? C’est quoi la loi ? Liberté égalité fraternité : où est tout ça ? À aucun français on n’aurait fait ça dans un autre pays, les autres pays les accueillent, tout le monde les accueille. On ne comprend pas pourquoi on est traité comme ça. C’est du racisme. On dit que les européens sont des racistes. Maintenant je vois le racisme en France. Moi je suis européenne, j’ai la nationalité française, ça fait trente ans que j’habite en France, j’ai des enfants qui sont nés sur le territoire français, qui ont suivi les études. J’avais une fille qui faisait des études pour rentrer dans la police, elle a abandonné, parce que le système qu’il y a, elle en veut pas. On est tous honnêtes, on veut tous travailler, aider les autres. Imaginez mon conjoint, il est là bas, il avait quelques affaires que je lui ai donné parce qu’on m’a autorisée une seule fois pour lui donner ses affaires, j’ai pas pu l’avoir au téléphone pour deux mois et demi, on communiquait que par des lettres. Je lui ai donné quelques affaires, ces affaires là servent maintenant à tout le monde au centre, parce que personne n’a de vêtements, c’est des vêtements sales, ils n’ont pas le droit d’utiliser de machine à laver parce que c’est fermé, ils ont pas droit d’acheter des recharges téléphoniques parce que c’est fermé, tout est fermé, ils les prennent vraiment pour des.. je sais pas, moins que rien. Quand ils l’ont laissé sortir, mon conjoint a pu récupérer cinquante euros, avec ça il a dépanné tout le monde qui est là bas, parce qu’ils ne leur donnaient rien. Vous imaginez ? Il y en a qui ont été ramassés à la rue, ils n’ont pas de survêtements, pas de vêtements, mon conjoint avec le peu qu’il avait il a partagé avec eux. Les douches sont bouchées, ils ne peuvent pas se laver. Tout le monde rentre dans la même merde. Ils les traitent pire que des animaux. J’espère que ça va faire ouvrir les yeux sur ça. On peut pas rentrer, on peut pas leur donner de l’argent ou des affaires, on peut rien faire.
Depuis le six avril il s’est représenté devant le juge pour être relâché, ça n’a pas été accordé, il a été prolongé de 28 jours, il a fait un appel dans les 24 heures, on lui a redonné un papier en lui changeant le nom, c’était pas le bon nom, ils ont écrit qu’il a pas de famille, pas de travail, alors que j’ai envoyé tous les papiers certifiants, son passeport, nos impôts, là où je travaille, j’ai tout envoyé, le permis de conduire français, l’immatriculation de sa voiture. Je ne comprends pas pourquoi on traite des hommes de telle sort. Les gens n’ont pas de vêtements là bas, il y a un pauvre marocain qui est là bas, qui mérite d’être soigné parce qu’il a des problèmes de santé mentale, le pauvre il se trouve là bas avec ces gens là, il a besoin de soin. Il y a un papi qui est malade du foi, qui a le foi qui est atteint, il est là bas. Mais enfin on est tous des être humains, on veut vivre ! Pourquoi on leur fait ça ? Pourquoi on nous fait ça ? Depuis qu’il est parti de la maison j’ai perdu dix kilos, je ne dors pas, je ne mange pas. C’est ignoble. Un chien il est mieux traité que les gens enfermés là bas.
Ils nous font croire que ce sont des sans papiers, des étrangers en condition irrégulière, c’est faux. La plupart de ces gens travaillent ici, ils se démerdent pour pouvoir vivre en France, ils veulent prouver qu’ils ont des papiers, mais on leur donne pas le choix, on leur impose quelque chose qu’ils ne veulent pas. Imaginez ils vont envoyer des européens dans leur pays, mais vous croyez que ces européens là ils vont laisser toute leur famille ici ? C’est ignoble ce qu’ils font. Ils peuvent pas séparer les familles, que ce soit des familles portugaises, marocaines, peu importe. Un homme qui va être renvoyé dans son pays mais bien sûr qu’il va revenir chercher sa famille. Il y a sa vie derrière lui ici, il y a la vie qu’il a construit ici, on a construit une vie ici avec mon conjoint, il va pas laisser ça comme ça. Qui va nous entendre ?

(…)

Le problème se pose, avec la maladie toute les familles, que ce soit la mienne ou celle des autres, on est pas sûres de retrouver nos chéris. Mon copain, il est parti au mois de février, là on est au mois d’avril, il a été prolongé jusqu’au 6 mai, là je ne suis pas sûre de revoir mon chéri. Il faut comprendre les familles qui sont derrière, parce qu’ils sont pas tous seuls. (…) On sait pas si on va les retrouver en santé, on sait pas si on va les retrouver pas malades, en plus de ça ni sa famille ni ma famille n’est au courant parce que c’est une honte que la France nous traite de cette façon, vous imaginez ? C’est la honte pour moi d’être traitée en France comme ça.

– Et pourtant c’est l’État qui devrait avoir honte de faire ça, c’est la police, le directeur du centre, le préfet…

– Je sais ! Mais on peut pas les avoir au téléphone eux. De toute façon quoi qu’il arrive, vous savez, nous on se bat, on se bat, on se bat. »

 

En solidarité avec les prisonniers enfermés au Mesnil-Amelot continuons d’harceler les préfectures et d’exiger la fermeture de toutes les prisons !