Dans le CRA de Vincennes comme dans toutes les autres prisons pour sans-papiers, les conditions de retention sont pourries et les humiliations et les violences sont quotidiennes. Si tous les témoignages des prisonniers-ères racontent ça, il est rare de voir des images de l'intérieur : les portables avec caméras sont interdits, pour isoler encore plus les retenu.e.s, et pour cacher toute la merde qui se passe dans ces taules. Malgré ça, des prisonniers sont arrivés à faire sortir une vidéo, qu'on publie ici. Après la vidéo, on publie le témoignage d'un autre prisonnier du meme CRA, qui raconte son histoire : comment il s'est retrouvé sans-papiers après des années passées en France, l'enfermement et les violences quotidiennes des keufs. A Vincennes, à Mesnil et dans tous les CRA, les prisonniers et les prisonnières sont poussé.e.s au bout, mais comme le dit D., "les gens vont essayer tout pour leur liberté". Ne laissons pas les retenu.e.s isolé.e.s, soutenons leur luttes !
« Je m’appelle D., je suis là depuis 2000. J’ai fait demande d’asile et tout ça, ils m’ont rien donné, j’ai attendu jusqu’à avoir des preuves de dix ans (de séjour), j’ai déposé mon dossier en 2014, mais par contre ils m’ont donné la carte de séjour en 2016 comme ça. Du coup je travaille depuis 2017, jusqu’à 2020. c’est la que mon patron m’a dit : la carte est périmée, arrête de travailler, je ne veux pas prendre de risques… c’est ça qui m’a empeché de renouveler, les grèves SNCF, les grèves, c’est ça qui m’a empeché. Tous les jours je regarde sur internet pour prendre rendez-vous, mais j’y arrive pas, c’est bloqué. Là ils m’ont bloqué, ils m’ont empeché mes droits, ils m’ont jugé comme une personne qui vient d’arriver.
Mais le fait est qu’on est là. On est traités pas bien, on est traités comme des animaux. T’as pas droit de parler, tu dois avoir peur d’eux. Moi une fois, ils m’ont tabassé, OK ? Pourquoi ils m’ont tapé ? Parce que j’ai crié. Ils m’ont mis dans l’isolement et j’ai crié : je suis rentré là-bas et ils ont essayé de me menotter avec la force, je me suis refusé, ils ont forcé forcé, après ils m’ont menotté et c’est passé. Le lendemain, on doit déménager (D. est transféré d’un bâtiment à l’autre du CRA), ils ont pas annoncé, ils ont dit ça à la fin de la cantine, Allez les gars, déménagez-vous. Moi j’ai dit ‘Attends, on a beaucoup d’affaires. Ils ont pas donné le temps. Là aussi, ils ont poussé, ils m’ont donné un coup de pied. J’ai rien dit. Ça c’est la deuxième fois qu’ils me tapent. La troisième fois c’était aujourd’hui.
Aujourd’hui, on était en train de ranger, (le flic) il m’a étranglé devant tout le monde. Il a mis toute sa force, il pèse 80 kilos, il m’a ramené entre la vie et la mort ! Là je te parle et j’ai mal au cou, à la gorge. Ils ont même pas soigné, ils s’en foutent. Tu vois tout ça ? Ça fait mail.
Après, il y a un monsieur, ça fait quelques moments qu’il était là. Après, il est sorti (du CRA), ils lui ont donné un adresse pour qu’il ramène son passeport là-bas, il va là-bas tous les jours tous les jours, (pour pointer) à la Préfecture. Hier, il vient avec son passeport, ils l’ont pris avec son passeport et ils le ramènent ici. J’ai discuté avec le monsieur, il était perdu. Aujourd’hui il s’est suicidé […] Les pompiers sont arrivés pour le réanimer (le prisonnier a survécu à la tentative de suicide : après être parti à l’hôpital, il est actuellement retourné à Vincennes).
Il y plein de gens qui se sont suicidés ici, plein de gens qui se coupent, ils se coupent et ils se coupent encore, ça finit pas. Les gens vont essayer tout pour leur liberté. Ils ont rien fait du tout, c’est juste qu’ils ont pas les papiers. Il y en a qui ont pas les papiers, il y en a qui ont les papiers, soit Espagne soit… on doit pas être enfermés comme ça, c’est des prisonniers. En plus la bouffe, je ne sais pas, on est combien dans le salon ? On est plus de vingt trente personnes par table, et ils disent coronavirus. Tous les jours il y a un nouveau, ils vont ramener dix minimum…
Parce que là ils ont rempli le bâtiment non ?
Ouai oaui, ils ont rempli, tous les jours il y en a un nouveau. Là, on est mal barré, très très mal barré. On sait même pas quoi faire. […] L’infirmier, il travaille avec eux. L’Assfam, elle travaille avec eux. C’est tous pareil. Imagine, ma plainte, ça fait six jours, il y a pas de réponse.
T’as déposé plainte à l’Assfam pour les violences ?
Il y a six jours ! jusqu’à aujourd’hui, il y a pas de réponse, la Préfecture répond jamais. C’est quoit ce délire ? c’est pas normal !
Et les médecins aussi c’est pareil ?
Voilà. Tout le monde dit que c’est la préfecture, mais la préfecture n’a rien à voir avec tout ça, ça c’est leur camp, leur camp fermé qui entraîne toutes conneries là, ils traitent les gens comme des esclaves. Ce qu’ils font, c’est pas bien. Il en a qui sont prêts à mourir plutôt que rentrer au pays. Moi non, mais il y en a qui sont prêts. »