« J’ai dis c’est toujours comme ça que vous ramener les gens ? Ils m’ont dit c’est leur travail… j’ai dit non c’est vous qui faites ça vous même ! » Récit d’expulsion violente sans test PCR vers la Guinée

Témoignage audio retranscrit d'une personne expulsée en Guinée (post coup d'Etat) à l'avant dernier jour de période de rétention vers la Guinée. Encore un récit d'expulsion violente sans test PCR réalisée avec la complicité de Air France.
Témoignage pris par téléphone depuis la Guinée ce qui explique la qualité de l'enregistrement et donc les coupures dans la retranscription écrite.
L'audio a été initialement diffusé lors de l'émission de radio de l'Envolée* du 4 décembre 2021.
[*L’Envolée est une émission pour en finir avec toutes les prisons. Elle donne la parole aux prisonniers, prisonnières et leurs proches & entretient un dialogue entre l’intérieur et l’extérieur des prisons.]

Du coup je commence : d’abord je suis venu en France j’avais 15 ans et tout, et puis voilà j’ai fait ma formation, et du coup on m’a attrapé parce que j’avais pas de papier, à cause d’un contrôle, on m’a ramené à Mesnil-Amelot pour 3 mois.

J’ai fait là bas en fait 89 jours, du coup presque 3 mois¹. Ils sont venus me chercher. Ils m’ont dit que je dois aller avec eux j’ai dis j’ai déjà fini mes trois mois vous m’avez pas prolongé normalement je devrais sortir. Ils m’ont dit non non non, j’ai dis j’ai même pas fait de test… Ils m’ont dit la guinée n’a pas besoin de test.

Il m’ont mis du scotch j’ai dis mais pourquoi vous me mettez ça ? Ils m’ont dit pour que tu partes.

J’ai dit mais non je ne dois pas… ils m’ont mis du scotch

Ils m’ont monté dans la voiture, ils m’ont ramené à l’aéroport, il m’ont fait monter avant tous les passagers d’abord. Ils m’ont mis des liens, après ils m’ont mis le casque². Ils y avaient des policiers qui me serraient pour que je puisse pas parler.

[…]

Ils m’ont vraiment coincés, il y avait plus de 8 policiers dans l’avion. Du coup j’ai pas fait de test, ils m’ont dit pas besoin de test c’est normal.

[…]

J’étais là bas pendant deux heures, deux heures et demi.

J’étais dans l’avion pendant deux heures et demi avant qu’on décolle. Parce que on décollé à 14h40. Et ils m’ont fait monter dans l’avion à midi. Avant que les passagers commencent à venir et tout.

Et deux heures, deux heures et demi ils étaient à coté de moi et ils me coinçaient et tout pour que je parle pas et tout, ils m’ont scotché les pieds […] avec le casque

C’était… c’était trop agressif en fait. Du coup on a décollé à 14h40, avec 3 policiers, jusqu’en Guinée. C’est en Guinée qu’ils m’ont fait le test, c’est pas la peine de te faire le test maintenant je suis déjà arrivé. Après eux je sais pas ce qu’ils on fait, ils sont retournés, et voilà après ils m’ont laissé à l’aéroport

Ca c’est passé comment quand ils sont venu te chercher au CRA, ils t’on fait croire qu’ils allaient te libérer et en fait ils t’ont amené à l’aéroport ?

Ouais exactement ça. C’est comme ça que ça c’est passé. Ils m’ont appelé en fait, ils m’ont dit prend toutes tes affaires au couloir.

[…]

J’ai refusé deux test mardi et mercredi […] tout le monde était content : « t ‘as refusé deux tests ils vont te libérer »¹, tout le monde criait et même le policier qui est venu me chercher au CRA il a dit : « toi tout le monde t’aimais ici » il était content que j’allais être libéré. […] Quand je suis arrivé au greffe ils m’ont rien dit non plus. Il y avait deux policiers, et eux aussi ils m’ont menti, ils m’ont dit on va à l’aéroport, t’as pas fait le test du coup on y va et on revient

[…]

Ils m’ont dit on y va, on va revenir parce que tu n’as pas fait le test. Je me suis dit ok peut-être parce qu’il y a deux congolais qui étaient partis deux fois [à l’aéroport] sans test et ils sont retournés. Du coup on est partis à l’aéroport.

A l’aéroport ils m’ont fait rentrer dans un isolement et sans poser de questions ils m’ont mis du scotch², je me suis dit à non là c’est pas le cas… Les deux autres qui étaient partis à l’aéroport et retournées [au CRA] ils avaient expliqué quand tu pars là-bas on te pose des questions du coup moi ils m’ont pas posé de questions.

[…]

Ça c’est passé comment quand t’es arrivé à l’aéroport, t’étais dans une autre zone que celle des passagers commerciaux ?

Ouais, c’est ça. C’était pas dans la zone où on prend le vol mais c’est dans l’aéroport en fait tu vois […] de l’autre coté. […] Ils m’ont fait rentrer dans un car et ils m’ont amené directement a coté de l’avion. Après là bas ils m’ont soulevé pour me faire rentrer dans l’avion, ils m’ont fait rentrer dans l’avion. J’ai vu le commandant [de l’avion] je lui ai dit vous allez me ramener sans test et tout ? Mais c’était déjà négocié. […] Il y avait beaucoup de policiers là bas.

Tu m’avais dit une autre fois au téléphone, c’était que le vol c’est Air France et que c’était déjà négocié avec le pilote de l’avion, le commandant que c’était mis d’accord pour l’expulsion

Mais oui je pense parce que j’avais dit au commandant que j’ai pas fait le test et tout. Lorsque j’ai parlé il y en a un qui m’a appuyé sur la gorge et il me dit de ne pas parler. Il m’a appuyé fort, fort.

[…]

J’ai entendu parler de gens qui étaient allés à l’aéroport avec des documents officiels et tout mais moi c’était pas cas, j’ai pas fait de prison, j’ai même pas un casier en France, je sais pas pourquoi ils m’ont traité de cette manière là…

Tu m’avais dit aussi que tu n’avais pas de laisser-passer consulaire³ de la Guinée.

Ils avaient pas, ils ont inventé des trucs, ils m’ont dis t’as un laisser-passer passez et tout mais j’ai pas de laissez-passer. Même le commandant je pense qu’il était au courant tu vois…

Quand les voyageurs du vol sont montés dans l’avion il s’est passé quoi ?

Du coup moi j’ai parlé, j’ai parlé, j’ai parlé, j’ai parlé dans l’avion, parce que les gens commençaient à monter dans l’avion. Ils m’ont pris, ils m’ont mis un casque et un masque même pour parler c’était compliqué. […]Devant moi il y avait un monsieur assis coté droite, un coté gauche […]

Ils étaient nombreux, j’étais entouré de policiers. […] Je sais pas si c’est comme ça qu’il ramène tout le monde… J’ai dis c’est toujours comme ça que vous ramener les gens ? Ils m’ont dit c’est leur travail j’ai dit non c’est vous qui faites ça vous même ! Votre travail c’est pas comme ça normalement, c’est pas comme ça…

T’as essayé du coup de parler avec des gens qui étaient dans l’avion ?

Ouais. J’ai vu deux personnes qui voyaient tout, du coup j’ai commencé à parler. […]

Désolé on a pas pu bien entendre ce que tu as dit. Tu dis que les flics ont parlé aux gens qui prenaient l’avion pour les convaincre de se rasseoir?

Ouais exact, je sais pas ce que les flics leur ont raconté, mais je sais qu’il y en avait deux ou trois comme ça qui ont commencé à parlé et des civils ont commencé à leur parlé, […] mais je sais pas de quoi parce que j’étais entouré, ils m’ont mis un casque et j’ai pas pu écouter bien et du coup voilà ça s’est passé comme ça.

[…]

Le moment ou t’as compris que tu allais être expulsé c’est quand ils ont commencé à te scotcher ? parce que avant tu pensais que tu allais juste dire que t’avais pas fait de test PCR et que du coup ils allaient te ramener au CRA, pour ton dernier jour, et que tu allais être libéré le lendemain ?

Ils m’ont dit si tu fais gentiment on te ramène gentiment, si tu fais le méchant on fait les méchants avec toi. Il a dit et comme ça cash il m’a parlé directement comme ça. Mais je lui ai dit pourquoi moi je suis calme. On a quitté le centre ils m’ont dit je suis libéré j’ai même pas été agressif et là tu me me du scotch ? […] Des racistes ! ils me disaient des trucs sales en fait. Ils faisaient exprès. C’était compliqué pour moi. […]


¹ Période légale maximale depuis 2019, depuis plus d’un an la pref a trouvé un moyen de replacer les personnes au CRA pour 3 mois supplémentaire en pénalisant les refus de test PCR [plus d’infos ici]

² Technique des flics pour attacher les retenus lors des transfert casque sur la tête pour empêcher l’automutilation et scotch pour sur les pieds et les mains pour empêcher tout mouvement [voir aussi ici]

³ Document dont a besoin la pref pour expulser une personne qui n’a pas de papiers.