« C’est la dixième fois! » : témoignage de Mounir, enfermé au CRA de Marseille

Nous republions ici le témoignage de Mounir* enfermé au CRA du Canet à Marseille. Ce témoignage est paru initialement sur mars-infos (https://mars-infos.org/c-est-la-dixieme-fois-temoignage-5977).

Enfermé dans le CRA de Marseille depuis le mois d’août, Mounir a participé à la grève de la faim en septembre 2021. Cette dernière semaine, il s’est vu prolonger sa détention de 15 jours supplémentaires, ce qui l’a poussé à ingérer deux lames de rasoir et à se blesser le pied en signe de protestation. Au moment où nous écrivons, il se trouve dans le CRA avec encore deux lames dans le ventre.
Suite aux violences policières subies en hôpital et surtout en raison de l’obligation de faire un test PCR avant de se faire opérer, Mounir a refusé l’opération. Il craignait en effet que la préfecture utilise ce test pour pouvoir l’expulser.
Les refus de test PCR par les prisonnièr.es en CRA sont de plus en plus pénalisés. Iels risquent des peines de trois à six mois de prison ferme, à la suite desquelles iels sont renvoyé.es en CRA, se retrouvant dans un cycle sans fin CRA-prison-CRA.
Voici son témoignage.

AC- Tu peux nous raconter ce qu’il s’est passé ?
M- Le 20 octobre je suis parti au tribunal à Aix. Ça s’est bien passé le tribunal, j’étais content. La juge m’a bien parlé. J’étais content. Elle m’a dit qu’elle me donnait la décision l’après-midi.
Puis ils m’ont ramené la feuille et ils m’ont dit que ça s’était pas bien passé et j’ai pété un câble, moi dans ma tête je pensais que j’allais sortir aujourd’hui. J’ai vu plein de gens qui avaient OQTF, IRTF sortir, moi j’ai fait appel de mon OQTF au tribunal administratif, ils me gardent, ils ne veulent pas me relâcher. J’ai pété un câble.
Tu sais toi que toute ma famille est ici, tous. J’ai pété un câble, j’ai mangé les lames et les pierres du briquet et j’ai coupé mon pied. Après ils m’ont parlé gentiment et m’ont ramené aux urgences.

AC- Tu t’es blessé où ?
M- Au pied gauche.

AC- A l’hôpital, comment ça s’est passé ?
M- A l’hôpital le premier jour ça s’est bien passé, puis le matin, quand je me suis réveillé. Il y avait des policiers qui ont été mal avec moi. Ils m’ont insulté, ils m’ont dit : – retourne dans ton pays- je sais pas quoi. Un flic m’a fait mal au cou, il m’a jeté par terre et m’a tapé la tête par terre. Il m’a mis les menottes. Il a cassé la puce de mon téléphone parce qu’il a dit que je ne pouvais pas utiliser mon téléphone et a cassé ma puce.

AC- C’est la première fois que ça arrive ?
M- C’est la première fois que ça m’arrive. Depuis le premier jour que je suis rentré il n’y a jamais eu de problèmes, je n’ai jamais eu de problèmes avec personnes.

AC- Pourquoi selon toi il a fait ça ?
M- Ils disaient que je pouvais appeler quelqu’un avec mon téléphone qui m’aide à fuir de l’hôpital. J’ai dit : ça fait un jour que je suis ici et je n’ai pas tenté de fuir, pourquoi je devrais appeler quelqu’un pour fuir ?
Mais ils avaient peur que j’appelle des amis, de la famille pour fuir.
Après deux heures les policiers sont revenus et faisaient semblant, ils étaient gentils, ils disaient qu’il n’y a rien.
Et moi ça m’a énervé qu’ils viennent comme ça après m’avoir tapé et ils disent il y a rien.
Je devais faire l’opération avec la caméra pour enlever les lames dans le ventre mais ça m’a énervé qu’ils fassent les gentils avec moi après m’avoir mal parlé et j’ai dit d’appeler le médecin. Le médecin est venu et m’a dit que c’est dangereux de laisser les lames dans le ventre, que je risque, mais je lui ai dit : – c’est bon, j’en ai marre, ces deux, ils m’ont cassé les couilles, ramenez-moi au centre !-
Ils m’ont ramené au centre.

AC- Tu as expliqué au médecin que tu étais énervé parce que les flics t’avaient mis la pression ?
M- Non. Mais normalement le médecin il a vu comment je me suis bagarré avec la police, il a vu les flics me frapper, me menotter dans le couloir.
Le médecin il est venu quand j’étais à terre dans le couloir et m’a dit : rentre !
Après il est parti et le flic il a recommencé à faire le malin, il m’a serré les menottes et je lui ai dit : s’il te plait, elles sont trop serrées et il m’a dit : – je m’en fous de toi !-
C’est deux flics de petite taille, je les connais, aujourd’hui je ne les ai pas vus, ils ne travaillent pas.

AC- Tu peux expliquer pourquoi tu t’es coupé le pied ? C’est une forme de protestation contre ton enfermement, comme le fait de faire la grève de la faim avec les autres ?
M- Oui, j’en ai marre. La juge a dit que j’allais sortir et la préfecture a dit que je reste encore 15 jours alors j’étais énervé et je me suis coupé. Encore j’ai mangé une pile aujourd’hui, maintenant.
AC- Pendant le voyage les flics t’ont mis la pression ?
M- Non, c’était d’autres flics, ils m’ont respecté. C’est juste les flics du matin qui ont fait les malins.
AC- Et maintenant comment tu te sens ?
M- Maintenant je dors pas. Je n’arrive pas à dormir je n’arrive pas à manger, je n’ai plus le moral tu vois ? Je pense à la famille, aux gens qui sont sortis.
AC- Oui, c’est trop chiant. Inchallah tu vas sortir bientôt.
M- Inchallah.

AC- Ce n’est pas la première fois dans un CRA pour toi ?
M- Non, c’est la dixième fois, je connais Paris, le CRA de Vincennes. Je suis rentré neuf fois, là-bas mais ils m’ont relâché neuf fois !
AC- Neuf fois ?!
M- Neuf oui. Une seule fois ici à Marseille, je ne sais pas, ça m’a cassé les couilles un peu. C’est compliqué un peu Marseille, je n’ai pas compris le système ici. C’est bizarre un peu
AC- C’est quoi la différence avec Paris ?
M- Je sais pas, bizarre, bizarre ici à Marseille, là-bas si tu présentes des preuves comme quoi tu as une famille, un hébergement à toi, tu as une maison… ils te laissent sortir, direct, il n’y a pas ce truc de 15 jours.
Normalement, ils n’ont pas le droit de m’emmener ici, ça veut dire qu’ils s’en foutent de ma famille, même me renvoyer au bled, ils s’en foutent de couper des familles, pourquoi putain ? C’est pas logique, c’est pas la loi comme ça. T’imagines quelqu’un d’ici, on ramène sa femme en Suisse ou je sais pas où et lui, il doit rester en France et elle n’arrive pas à descendre en France et ils les séparent, c’est pas une loi ça ! Moi, j’ai toutes mes preuves, tout, tout. J’avais rendez-vous en Préfecture pour demander mes papiers. J’ai tout ça. Ils ne veulent pas me relâcher, pourquoi ?
AC- C’est quand la dernière fois que tu étais en Tunisie ?
M- La dernière fois que j’étais à Tunis c’était en 2020. Ma mère et mon père sont en Tunisie, mais tout le reste de ma famille est ici en France. Parfois mes parents vont à l’hôpital alors il faut les aider.

AC- Et en général, comment est la situation dans le centre, avec tes camarades ?
M- Il n’y a pas de moral, franchement tu vois. Le gens s’embrouillent. Chaque jour il y a un problème, une bagarre, du bruit, un truc bizarre.
AC- Il y a du nervosisme ?
M- Oui, ça semble un hôpital psy ici. Il y a des embrouilles, laisse tomber.

Nous sommes solidaires avec Mounir et avec tou.tes les prisonnièr.es qui se sont révolté.es et se révoltent contre le système répressif qui les enferme.
Solidarité aux proches et aux familles, elles aussi incarcérées dans un enchevêtrement d’angoisses, fragilités et résistances qui découlent de l’enfermement.
Nous sommes solidaires et inquièt.es pour la santé de Mounir qui continue son combat avec deux lames et une pile dans le ventre et qui nous met face aux systèmes d’oppression néocoloniale dont le CRA est expression et auxquels juges, associations, docteurs et matons participent ensemble.

Luttons pour la fermeture de tous les centres de rétention !
Liberté !

*Le prénom a été changé

Collectif MarsAntiCra