Dans un précédent article, M. nous avait transmis le rapport, signé par plusieurs dizaines de retenus, qu’il avait rédigé pour dénoncer leurs conditions de rétention. Il nous racontait aussi sa confrontation avec la commandante du centre de rétention.
Nous publions désormais l’intégralité de son témoignage, qui s’étale sur plusieurs mois.
L’arrestation, la garde à vue puis le CRA
La police est venue m’arrêter chez moi. Ils ont déglingué la porte, et j’étais derrière. Ils se sont mis à 4 sur moi. Ils m’ont mis par terre, ils m’ont mis des coups de pied dans le dos et ils m’ont mis les menottes. Ils m’ont insulté, chez moi et dans la voiture : « ta gueule », « bougnoule », « nique ta mère ». Y en a un qui m’a dit : « Je vais te renvoyer au bled. »
En garde-à-vue ils ont pas voulu m’emmener aux urgences. J’ai demandé un interprète et un avocat d’office, ils ont pas voulu. Après, au CRA, y avait pas de médecin le jour même, c’est que le lendemain que je l’ai vu. Je suis resté deux jours sans aller aux urgences. Tout ça c’est pas normal. J’ai une luxation à l’épaule, ils m’ont donné une écharpe, mais ils voulaient pas me donner un certificat pour coups et blessures. Le médecin du centre de rétention a dit « c’est pas nous qui faisons ça, on peut pas faire ça ».
La rédaction du rapport collectif & l’entretien avec la commandante
Le JLD (juge des libertés et de la détention) & l’avocat
Le juge il m’a rajouté 30 jours. Ça a duré 10 minutes. L’avocat je lui ai dit que j’ai des problèmes de santé, j’ai attrapé des infections ici, j’ai des douleurs aux dents, je prends 12 médicaments par jour, je sais même pas à quoi ils servent. Et l’avocat il a pas parlé de ma santé, il m’a énervé. C’est comme s’il était contre moi et qu’il travaillait avec eux. Le premier m’avait défendu un peu, il a parlé des violences policières et de ma santé. Mais lui il a rien dit. La Cimade m’a dit c’est pas normal, ils ont demandé le nom de l’avocat. La prochaine fois j’espère qu’il va parler, sinon je m’exprime moi-même.
La visite du préfet
L’autre jour il y a quelqu’un qui est venu. Un flic m’a dit « c’est le préfet ». Il a fait une visite dans toutes les chambres. Je lui dis « y a des toiles d’araignée partout dans la chambre ». Y a une policière qui vient, qui me dit « chut ». Je dis : « Pourquoi vous me dites chut ? C’est la vérité. On nous donne même pas de produits pour nettoyer. »
La même journée ils ont affiché des vols à tout le monde. Je sais pas s’ils se sont trompés ou s’ils ont fait exprès pour que le préfet croit que tout le monde se fait expulser, mais c’est pas vrai, il y avait pas de dates ni rien.
Les expulsions par vols cachés
Mon co[retenu] ils l’ont emmenés ce matin, ils ont même pas dit l’heure du vol. Je suis parti faire un café et quand je suis revenu, je vois les policiers l’ont attrapé. Je viens, je dis « ya quoi ? » On me dit « de quoi tu te mêles ? » J’ai dit « Pourquoi vous le prenez direct ? » et j’ai fait comme un calin pour qu’ils le prennent pas. Un policier il vient derrière moi, il me tourne le bras et après quelqu’un il me pousse fort et il me dit « on peut t’envoyer en prison ». Je dis « mais ça se fait pas, au moins dites aux gens que vous voulez les prendre ».
Après quand ils reviennent pour prendre ses affaires, je dis « je sais pas c’est quoi ses affaires », exprès pour qu’ils le ramènent ici, et cette fois je le laisse pas. Ils me disent « non, donne, sinon on l’envoie comme ça ». J’ai donné, il est parti. Je peux pas le contacter, je sais même pas s’il est arrivé ou quoi.
3 jours et 3 nuits de résistance
Il y a quelqu’un qui est monté sur le toit du bâtiment 5. Les autres lui ont fait monter de la bouffe, de l’eau et des matelas aussi. Il s’est fait une baraque avec, pour qu’il se couvre de la pluie et de la neige, parce qu’il a neigé !
Nous on est allé voir la directrice, parce qu’on veut pas rester 3 mois enfermés. J’ai dit « on va pas manger ». Elle a dit « on s’en fout, votre parole elle va pas sortir du CRA ». J’ai dit « on va voir ».
Trois mois c’est trop. Tu pètes les plombs. Après quand tu fais quelque chose ils t’envoient en prison pour rien et on te dit t’es fou. Mais c’est eux qui nous rendent fous. On nous ramène ici pour nous torturer le moral.C’est grave. Comment ça dans leurs droits de l’homme ils accueillent les humains, et après, quand tu viens ici, pour avoir des papiers il faut travailler et pour travailler il faut des papiers ? Donc il faut faire une fausse carte, sinon on peut pas travailler. Ça dire on nous apprend à trafiquer, c’est grave.
Des feux de joie
Le soir du 4 décembre, des feux d’artifice ont explosé dans le ciel au-dessus du centre de rétention, en soutien au retenu qui s’était hissé sur le toit pour échapper à son expulsion.
On est tous sortis dehors, on a crié « Liberté ! », on chantait et on a défoncé les grillages. Ça gueulait partout, dans les deux CRA, chez les femmes aussi.
Les policiers sont sortis, on leur a dit que deux retenus s’étaient évadés, ils se sont mis à courir partout, c’était comme dans un film.
Nous on a sorti des matelas dans la petite cour, et on a pris du thé avec des biscuits et du miel. Ah, c’était une bonne soirée.