Dans les chiottes de la justice expéditive, on y trouve le JLD de la rétention 

Depuis que le Covid s’est de nouveau répandu au CRA du Mesnil-Amelot, les audiences JLD (Juge des Libertés et de la Détention) continuent en l’absence des retenu.es, qui n’ont donc même plus le droit d’y assister. Une situation qui explique notamment les révoltes de ces derniers jours. L’occasion de revenir sur le fontionnement du JLD, ou comment la justice marche main dans la main avec la préfecture.

AU CRA 3 du Mesnil-Amelot, depuis quelques jours, un cluster s’est déclaré. Les retenu.es savent exactement comment le Covid-19 s’y est propagé (du fait de la surpopulation du CRA et de l’absence de mesures de protection prises depuis le début de la pandémie) et l’ont dénoncé à plusieurs reprises.
Pourtant rien n’a été fait pour empêcher cela. Les mesures sanitaires préventives et les gestes barrières ne concernent décidément pas les lieux d’enfermement et encore moins les étranger.e.s en rétention.
Le CRA 3 a été mis a l’isolement. Actuellement, au moins 22 personnes y sont positives. Le bâtiment 6 (où sont enfermés les prisonnier.e.s testé.e.s positif.ves) est même complètement fermé, personne n’y rentre ni n’en sort et aucun ménage n’y est fait. Ces derniers jours nous tentons de relayer ce qui s‘y passe, notamment car les retenu.e.s s’organisent et nous racontent de nombreuses formes de résistance et de solidarité.
Cette situation est l’occasion de s’arrêter sur un point particulier : comment la justice marche main dans la main avec la préfecture, et comment cette complicité s’aggrave actuellement au mépris des droits des retenu.es.

 

 Au Mesnil-Amelot, les audiences des retenu.es se déroulent en leur absence 

 

En effet, alors même que le CRA 3 est confiné, les audiences JLD (Juge des Libertés et de la Détention)  continuent en l’absence des retenu.es, devenu.e.s des pestiféré.es qui n’ont plus le droit d’assister à leur propre audience. Même la visio, qui est déjà une « sous-audience», ne leur est plus proposée ! Les prisonnier.e.s n’ont également aucun accès à leur avocat.
 
On  pourrait penser qu’au vu de ces conditions d’exercice de la « justice » et des conditions d’enfermement actuelles – en plus du fait que de nombreuses personnes ne sont pas expulsables car les frontières de leur pays sont fermées – le JLD allait libérer les retenu.es : au contraire, il continue de les garder en CRA
  
 Cet acharnement et cette complicité avec les préfectures n’est pourtant pas une nouveauté ; il n’y a pas de fonctionnement « correct » du JLD en temps « normal » ou hors Covid. La dégradation actuelle du traitement des retenu.es par la justice vient montrer un peu plus le vrai visage de celui qui se revendique juge des « libertés » : en réalité, un juge de l’enfermement et une machine à prolonger.

 

C’est quoi un JLD ?

En théorie, Le rôle du JLD  est de vérifier si les gens sont placé.es et maintenu.es en rétention dans un cadre légal. Il est par ailleurs le seul garant du respect des droits pendant toute la rétention et à ce titre il peut être saisi à tout moment de demandes de mise en liberté. 

C’est en fait la préfecture qui demande à la Justice de prolonger la rétention afin d’expulser la personne : le premier JLD intervient 48h après le placement en rétention et doit donc contrôler toute la procédure (contrôle d’identité, arrestation, garde à vue, arrivée au CRA).

Les JLD suivant (aux 30ème, 60ème et 75ème jour) décident de la prolongation ou non de la rétention en fonction des démarches que la préfecture a faites pour tenter d’expulser les retenu.es. Il est censé à ce moment également vérifier que les droits en rétention sont respectés.
Dans les faits, le JLD prolonge quasi systématiquement la rétention.
 
Etre bien défendu.e au JLD : mission (quasi) impossible

 

 Il faut trouver un.e avocat.e dans un temps record, celui-ci devant être dispo du jour pour le lendemain. De plus cet.te avocat.e doit connaître le droit des étrangers et plus particulièrement cette procédure de la rétention qui est très technique.
En outre, le législateur n’a pas prévu de désignation à l’aide juridictionelle pour les étranger.es en rétention, ce qui fait que si on veut choisir son avocat on doit le payer soi-même, le plus souvent une fortune (entre 1000 et 2500€). Or les personnes sans papiers en rétention sont souvent dans une situation de précarité extrême et n’ont généralement pas d’argent. Certain.e.s d’entre elleux arrivent à réunir les sommes demandées, ce racket permet à quelques avocat.es qui se sont spécialisé.es dans cette procédure de faire leur beurre (par exemple en redemandant des sommes en cash et hors contrat pour le 2e, 3e ou 4e JLD).
Pour les autresla grande majorité – ielles sont « défendu.es » par un.e avocat.e de permanence, « commis d’office », payé.e par le tribunal et qui, à quelque exception près, ne connait pas bien le droit des étranger.es ou n’a aucune motivation pour les défendre. La plupart du temps, iels découvrent le dossier et le.a retenu.e 5 minutes avant l’audience. 
Pour ce qui est des avocat.es militant.es investi.es dans le travail de défense des étrangers, à force de plaider dans un contexte d’urgence et de n’obtenir que très peu de libérations, iels ont fini par être dégouté.es et ne se rendent plus disponibles pour ces audiences.
A cela on peut ajouter que même s’il existe une possibilité de faire appel de la décision du JLD, l’avocat.e ne peut y plaider que ce qui a déjà été plaidé la première fois, en première instance. Ce système fait qu’un bon avocat en appel ne peut rattraper un travail baclé en première instance par un.e avocat.e commis d’office

 

Une audience JLD, à quoi ça ressemble ?

 

Le juge n’en rien à foutre des conditions de rétention alors que c’est son travail

 

Il est très difficile pour les personnes « jugées » de comprendre ce qui leur arrive. Ce qui est jugé n’a rien avoir avec la vie des gens, il s’agit juste de procédure : des lieux, des heures, des procès verbaux, des signatures qui manquent ou pas…
Or la plupart du temps, c’est le moment où les retenu.es vont avoir envie d’expliquer leur vie, pourquoi iels veulent rester en France, et c’est justement ça que le juge et la pref vont utiliser comme argument pour prolonger la rétention car cela prouve que « Mr ou Mme ne va pas partir du territoire par ses propres moyens ».
Parfois c’est même complètement pervers de la part du juge, qui va poser des questions au retenu.e sur sa vie : c’est souvent un piège pour le faire parler et lui faire énoncer des éléments qui pourront être retenus contre elle.lui, comme le fait de ne pas manifester son désir de quitter le territoire.
Il est aussi très difficile pour le.la retenu.e de comprendre qui est qui, étant donné la connivence entre les avocats de permanence, ceux de la préfecture, et le juge. 
L’audience est très courte. L’avocat de la préfecture explique pourquoi il demande la prolongation du placement, en s’appuyant sur les démarches de la préfecture :  demandes de laisser-passer au consulat, réservations de vol – d’ailleurs vrai ou faux vol, tout le monde s’en fout... Puis l’avocat.e du retenu.e ne plaide généralement quasiment rien et le.la retenu.e n’est pas écouté.e.
A chaque fois qu’un.e retenu.e tente de s’exprimer sur ce qui se passe en rétention : violence des flics, non accès aux soins, graves problèmes de santé, non respects des règles sanitaires, conditions de rétention déplorables… iel est interrompu.e par le juge, alors même que c’est ce juge qui est censé être le garant des conditions d’enfermement !
 
Au bout du compte l’audience se passe très vite, les retenu.e.s ont a peine le temps de comprendre ce qui se joue qu’on leur demande déjà de signer la décision du juge de prolonger. C’est presque le seul moment de l’audience où les retenu.es ont une prise sur ce qui leur arrive, quand iels refusent de signer ça marque un acte fort et on respire un peu…

 

Depuis le covid : maintenir en rétention à n’importe quel prix

 

Depuis le début de la crise sanitaire, des avocat.e.s et des associations ont saisi à de nombreuses reprises les JLD en formulant des demandes de mise en liberté (DML) : l’objectif est de montrer l’illégalité de la rétention au vu des conditions d’enfermement liées au covid (promiscuité dans les chambres, dans le réfectoire, pas de matériels d’hygiènes disponibles masques, gels, cluster en cours…). A chaque fois, ces derniers prolongent ou maintiennent les retenu.es en rétention. 
Au Mesnil Amelot dernièrement, malgré le cluster les DML (demande de mise en liberté) réalisées par la Cimade ont toutes été rejetées. 
En actant que les audiences JLD ont désormais lieu sans les retenu.es, la Justice, bien souvent écrasante et humiliante, main dans la main avec la pref, vient encore de monter d’un cran le niveau du manque de respect des personnes enfermées. C’était déjà en toute discrétion et dans une grande mascarade qu’elle prolongeait la rétention des retenu.es, sans aucune place à une réelle défense. Aujourd’hui c’est entre eux qu’ils les prolongent sans aucun scrupule. 
 
C’est aussi pourquoi depuis quelques jours faute de s’exprimer devant un juge qu’ils savaient déjà ne pas les écouter, les retenu.es du Mesnil-Amelot se révoltent.

 

MONTRONS LEUR TOUTE NOTRE SOLIDARITE !!!

 

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Récemment , il y a eu une lueur d’espoir : la cour de cassation, institution judiciaire qui fait normalement autorité, a pris une décision disant qu’on ne peut plus mettre en rétention une personne sur la base seule d’une  interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) . Il a suffit de seulement deux jours pour que la préf obtienne une nouvelle jurisprudence grâce au soutien invétéré de la cour d’appel. Alors que les JLD ont d’abord suivi cette décision et libéré quelques retenu.es, les JLD de la cour d’appel ont tout de suite inversé la tendance en annulant ces libérations. Heureusement les quelques un déjà jugés étaient déjà dehors.