On publie un texte écrit par les camarades de l'Envolée sur les passages de plus en plus frequents entre prisons et CRA et entre CRA et prisons. Bonne lecture !
« Au bout de trois mois, si tu refuses les tests pour pas rentrer chez toi, ils te ramènent en prison pour encore trois mois. Après ils vont te ramener ici. Je te jure, tu peux rien, t’es comme du beurre, tu vois : du beurre qu’on met sur un plateau et qui va fondre ; eh ben nous, c’est pareil. »
[Un prisonnier du CRA de Lyon Saint-Exupéry, le 2 février 2021, sur https://crametoncralyon.noblogs.org/]
De plus en plus d’étranger·e·s incarcéré·e·s sont placé·e·s en centre de rétention administrative (CRA) à leur sortie de prison, enchaînant ainsi sur une nouvelle peine d’enfermement. Des prisonnier·e·s en CRA qui cherchent à empêcher leur expulsion sont présenté·e·s au bout de quatre-vingt-dix jours de rétention à un juge ou à un procureur pour « refus de se soumettre à une mesure d’éloignement ». Des dizaines de retenu·e·s ont ainsi pris trois mois de taule ferme, voire plus, d’autres une ITF (interdiction de territoire français) qui les renvoie en CRA pour trois mois de plus ; certain·e·s sortent donc de six mois de rétention d’affilée. Depuis début 2020, c’est le refus de test PCR qui est utilisé comme outil de résistance individuelle par les prisonnier·e·s pour éviter l’expulsion. La criminalisation des résistances, du refus de test au refus d’embarquer, et la collaboration croissante des préfectures et de l’administration pénitentiaire (AP) contre les étranger·e·s, multiplient alors les passages entre ces lieux d’enfermement.
« C’est sûr qu’ils sont en train de préparer mon test pour l’expulsion, et si je le refuse ils vont faire tomber le sursis. Obligé, je vais refuser, parce que je peux pas rentrer au pays : j’ai des problèmes qui m’attendent là-bas. Obligé, je vais refuser ; du coup, le retour qui a le plus de chances de se faire, ça va être à la Santé (la prison). Sachant que j’ai déjà fait trois mois là-bas y a peine un mois, pour refus. En janvier 2020, ils m’ont arrêté et mis au CRA. Après ils m’ont envoyé une première fois à la Santé, puis je suis retourné au CRA. La première fois c’était pour outrage et rébellion, puis la deuxième fois que je suis allé à la Santé c’était pour refus de test, et ils m’ont collé outrage et rébellion. Et là, ça fait plus de vingt jours que je suis de retour au CRA. »
[Un prisonnier du CRA de Vincennes, le 25 mars 2021, sur https://abaslescra.noblogs.org/]
Des étiquettes bien pratiques
Dehors, les déclarations de guerre du gouvernement contre le terrorisme et maintenant contre les violences faites aux femmes servent à repousser les limites du droit et à justifier des traitements toujours plus durs pour certain·e·s prisonnier·e·s. Les agresseurs, comme les terroristes, seraient forcément étrangers. Dès lors, toutes les personnes étrangères deviennent des suspects que l’on peut enfermer préventivement pour la sécurité de la société. Médias et politiques instrumentalisent des faits divers pour légitimer des mesures sécuritaires. Marlène Schiappa proclamait ainsi le 6 novembre 2019 : « Nous allons désormais expulser les citoyens étrangers condamnés pour violences sexistes ou sexuelles. » Ces épouvantails permettent à l’AP et à la police aux frontières (PAF) d’expérimenter des pratiques qui s’étendent ou vont s’étendre progressivement à tou·te·s. Les personnes condamnées pour « terrorisme » peuvent ainsi rester enfermées jusqu’à cent-quatre-vingt jours dans un quartier spécial au CRA de Lille-Lesquin, et rester assignées à résidence quasiment à vie.
« Aujourd’hui, me revoilà en taule pour une vingtaine de minutes de retard sur le couvre-feu qui m’était imposé depuis les quatre dernières années de mes douze ans de perpétuelle assignation à résidence… Enfermé à plus de cinq heures de route de ma famille, je suis toujours dans le circuit fluctuant de l’incarcération sous ses diverses formes : prison, CRA, assignation à résidence. »
[Extrait d’une lettre de Kamel Daoudi à L’Envolée, depuis la Maison d’arrêt de Lyon-Corbas, le 5 décembre 2020]
Collaboration des préfectures et de l’AP
Pour faciliter ces passages de la prison au CRA, les services pénitentiaires et préfectoraux échangent de plus en plus d’informations sur les prisonnier·e·s étranger·e·s pour empêcher le renouvellement de leur titre de séjour ou leur coller une obligations de quitter le territoire français (OQTF). Aujourd’hui, les OQTF distribuées en prison le sont le plus souvent le week-end, et ce n’est pas un hasard : le délai de recours d’une telle décision administrative est de 48 heures. Les services administratifs étant fermés le week-end, il est presque matériellement impossible de s’opposer aux OQTF en prison.
« Ils m’ont ramené au CRA de Vincennes. J’y ai passé soixante-treize jours. À ma grande surprise, on était obligés de faire des tests PCR, on était au temps du Covid. J’ai refusé tous mes tests. Ils m’ont ramené au tribunal pour refus de reconduite à la frontière. Ils ont annoncé sur mon dossier : outrage, rébellion et incitation à une révolte. Du coup, ils m’ont mis trois mois ferme, que j’ai passés à la Santé. À la fin de ma peine, j’avais plus d’OQTF. Arrivé à l’accueil, où ils devaient me donner mes affaires qu’ils m’avaient gardées, qui pouvaient pas rentrer dans la détention, j’ai trouvé qu’il y avait une nouvelle OQTF. C’était le week-end. C’est comme ça qu’ils m’ont ramené encore au CRA de Vincennes. J’ai un sursis de trois mois qui m’attend ; ça veut dire que j’ai trois mois de prison qui m’attendent rien qu’au premier refus de test PCR. »
[Un prisonnier du CRA de Vincennes, le 19 mars 2021, à l’antenne de L’Actu des luttes sur FPP]
La circulaire Collomb de 2017, comme celle de Darmanin en 2020, visait déjà à la systématisation de la collaboration entre l’AP et la PAF. Cette entente a pris plus d’ampleur à l’occasion des confinements successifs. On l’a vu lors du premier confinement en mars 2020 : des sortant·e·s de taule placé·e·s en CRA sont resté·e·s enfermé·e·s malgré la crise sanitaire. L’État a tout fait pour empêcher la fermeture des prisons pour sans-papiers malgré la fermeture des frontières qui rendait impossible la plupart des expulsions.
« Moi j’ai le sac plein, je sors de prison… c’est incroyable, ils pensent pas à ça. On n’existe pas pour eux. Incroyable. Déjà on n’a même pas le droit d’être là… On est en train de faire le centre gratuitement ! Ils m’ont dit : « Gratuitement ? Mais t’as pas de papiers« . Je leur ai dit : « Ben ouais, le monde est fermé, le monde est en confinement !« »
[Un prisonnier au CRA de Marseille, le 23 mars 2020, sur https://abaslescra.noblogs.org/]
Les centres de rétention deviennent des petites maisons d’arrêt
Depuis vingt ans, l’allongement continu de la durée de rétention (de douze jours avant 2003 à trois mois depuis 2019) s’est accompagné de la construction de plus de onze prisons pour sans-papiers. Des constructions supplémentaires sont en cours à Lyon-Saint-Exupéry, Bordeaux, Orléans et au Mesnil-Amelot.
Au début des années 2000, lorsque se met en place le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Céséda), véritable code répressif du droit des étranger·e·s, la PAF récupère la gestion de tous les CRA, tenus jusque-là à la fois par les gendarmes et l’administration pénitentiaire. Les échanges entre l’AP et les préfectures sont donc anciens, qu’ils soient formalisés ou non par des circulaires. Jusqu’en 2011, l’entrée ou le séjour irrégulier sur le territoire était un délit passible d’un an de prison : beaucoup de personnes sans-papiers étaient condamnées à environ trois mois ferme, en plus d’un potentiel passage en rétention. Désormais, ces trois mois de prison se font en CRA. La gestion des prisonnier·e·s en centre de rétention s’aligne sur celle des taules : un mitard, ici gardé par des keufs de la PAF souvent violent·e·s, des transferts disciplinaires pour casser les révoltes, l’humiliation arbitraire et la répression violente des personnes désignées comme meneur·se·s, l’encadrement psychiatrique de celles et ceux qui ne se tiendraient pas sages et la gestion de la détention par les médocs… Bref, toutes les pires pratiques se sont transmises d’un lieu d’enfermement à l’autre.
Une boucle d’enfermement, du CRA à la prison et de la prison au CRA, se met en place progressivement. Les centres de rétention deviennent de véritables petites maisons d’arrêt où on peut enchaîner des trois mois ferme, et la PAF gère ces détentions en réprimant les résistances par l’expulsion quand c’est possible, sinon par des poursuites judiciaires. L’État officialise qu’il ne « retient » pas des gens, mais qu’il les emprisonne. Ces enfermements à répétition, avec leur cortège d’humiliations et de violences, ont pour objectif de briser les retenu·e·s prisonnier·e·s pour forcer les expulsions.