Retranscription d’un coup de fil d’un prisonnier de Mesnil Amelot pendant l’émission de l’Envolée du 10 septembre 2021. Le copain, enfermé depuis presque 6 mois (alors que la limite légale serait de 3 mois), parle de la situation sanitaire dans le CRA, des aller-retours entre CRA et taule, de la criminalisation du refus de test, des violences policières, de la bouffe dégueulasse…
Il raconte aussi que certains pays (comme le Mali) ont arreté de demander un test Covid pour les vols d’expulsion : les prisonniers.ères peuvent alors etre expulsé.e.s meme s’iels refusent le test !
Vous pouvez écouter l’appel ici [à partir de la minute 26], ou lire la retranscription plus bas.
Lettre du QI – Hommage à Idir un an après – Deux appels de prisonniers en centre de rétention
On voulait un peu revenir avec toi sur l’ambiance au CRA du Mesnil-Amelot dans ces derniers mois, puisqu’il y a eu un gros mouvement collectif en Juliet là-bas, et pas mal de répression aussi.
- Oui. Ici ça se passe mal hein. Comme je vous ai dit, moi ça fait cinq mois que je suis là, bah par rapport à… j’ai fait quelque conneries, j’étais en prison et quand je suis sorti de prison […] je suis retourné ici. Moi ça fait bientôt 10 ans que je suis en France, j’ai toute ma famille ici, et en fait la vie c’est compliquée ici, tellement c’est compliquée, on mange pas bien, on dors pas bien, les gens…. En fait c’est facile de rentrer ici mais c’est difficile de sortir.
Parce que, en gros pour expliquer aux gens, normalement dans les centres de rétention on peut faire que trois mois. Sauf que… vas-y tu peux expliquer ?
- Oui tu peux faire que trois mois, mais même il y a un nouveau loi qui est sortie, que quand tu refuses ton PCR – le test PCR – tu peux y aller en garde à vue, c’est comme un délit en fait.. tu fais une garde à vue et tu peux revenir ici, comme si tu peux aller en prison.
Oui en effet c’est ça, à toi t’ont mis une interdiction du territoire au but de trois mois, non ?
- Oui c’est ça
Et en fait grâce à ça, ils se servent de ça pour remettre les gens en centre de rétention. Ce qui veut dire qu’au lieu de trois mois – déjà trois mois ce n’est pas normal – mais là ça veut dire que tu vas te manger (faire) presque six mois, ça se trouve.
- Oui c’est ça, c’est ça. Demain je vais passer devant le juge pour les deux mois… Mais en fait je suis là parce que j’ai toute ma famille, j’ai mon fils… j’ai fait mes études, après j’ai fait une connerie, mais aujourd’hui j’ai compris quoi…après je vous ment pas, ici ça me déprime, on nous renferme, on ne mange pas, on ne dort pas, on fait que penser, et c’est compliqué quoi…
Du coup tu étais là en juillet un peu… ? et en aout ? je ne sais pas si je dis des conneries mais récemment ils ont construit des murs plus grands, non ? au Mesnil-Amelot.
- En fait ça je ne suis pas au courant, mais j’ai entendu ça en fait.
Ok. C’est entre le CRA 2 et le bat pour les prisonniers, non ?
- Oui, c’est ça.
Et du coup ça se passe comment à l’intérieur ? Par exemple avec la police, depuis les dernières évasions, ça se passe comment ?
- Mah, en fait c’est un peu compliqué avec eux, ils nous parlent mal, ils nous traitent mal… mais… c’est compliqué quoi.
Ils mettent plus la pression là, depuis quelque jour ?
- Non ça fait longtemps qu’ils mettent plus de pression et tout ça. Mais d’autres fois j’ai vu qu’ils ont mis la pression à un retenu, ouais ils sont rentrés dans sa cellule et… je ne sais pas ce qu’il a fait, mais ils l’ont tabassé et tout. Ça fait 15 jours…
Ok. Et lui ça va quand même ?
- Lui ça va, ça va, il est 2 jours qu’il va bien, il a juste quelque blessure mais ça va.
Et quand il se passe ça… je sais que vous êtes grave désarmés par rapport à ce genre de trucs, mais vous pouvez aller voir comment ça se passe par exemple avec les assos qui sont à l’intérieur normalement, et qui doivent faire du soutien juridique par exemple ?
- Oui, oui, c’est la Cimade. […] Des fois on passe, et ça se passe bien avec eux et tout, mais des fois ça se passe mal, on dirait même qu’ils travaillent ensemble en fait. On dirait qu’ils travaillent ensemble… Ils sont là pour nous aider, mais pas vraiment quoi. Parce que moi, des fois s’il se passe des trucs […] on peut y aller les voir, ils font …. L’article 24, l’article 24 ça veut dire qu’on porter plainte contre eux [l’administration du CRA] par rapport à la nourriture, par rapport à plein des choses quoi.
Et ça arrive souvent, qu’ils prennent des plaintes comme ça ?
- Oui ça arrive souvent.
Et après, ça se passe quelque chose ?
- Oui, oui. L’autre fois un mec devait aller manger… il a pas sa carte. Il a pas sa carte, et on lui a dit, tu ne manges pas, parce qu’il n’a pas sa carte. Après c’est parti en couilles, ils ont commencé à lui parler mal, lui aussi a commencé à parler mal et tout ça, ils l’ont traité de « chien », de « sans papier » – ils nous traitent de tout et n’importe quoi, tu vois ? après c’est partie en couilles quoi.
Ouais, les flics cherchent la merde de ouf, tu peux pas manger parce que tu n’as pas ta carte en fait…. T’es enfermé t’es enfermé quoi…
- Eh oui t’as pas ta carte et tu peux pas manger.
Pour expliquer aux gens… les cartes te permettent de te déplacer dans le centre de rétention. On vous refuse des cartes si vous êtes dehors, mais dedans on vous impose d’avoir une carte…
- Oui, c’est ça.
Et du coup, moi je me demandais… toi tu es au CRA 2 si je ne dis pas de conneries. L’ambiance c’est comment, ces derniers temps ?
- Bah, l’ambiance est calme… Au CRA 2 ici […] ils ne sont pas trop solidaires, en fait, c’est vraiment calme. Mais au CRA 3 c’est vraiment… ça bouge quoi.
D’ailleurs c’est là d’où sont parti les mouvements de révolte dont on parlait la semaine dernière.
- Oui c’est ça. Mais au CRA 2 c’est vraiment calme. Parce que avec les policiers et tout ça c’est compliqué, c’est vraiment compliqué. Si on fait un truc ils viennent pour nous dire, il ne faut pas faire ça, si tu vas faire ça on va te porter en isolement et tout ça. Même il a, je me rappelle, il y a 4 jours… il y a une femme, ils l’ont mise en isolement. Parce qu’elle a fait un test corona, parce qu’elle avait les symptômes et tout ça, ils l’ont mise en isolement là bas, il n’y a pas de télé il y a rien, pour une femme c’est compliqué.
Ouais, pour tout le monde en fait, c’est une punition normalement le mitard en fait.
- Une punition, oui une punition. C’est comme un mitard en fait, c’est isolement mais c’est pas pour une femme, en fait, une femme elle doit pas être là-bas.
Mais donc en fait ils mettent au mitard, à l’isolement, les personnes qui sont testées positives au covid ?
- Oui, c’est ça. En fait, elle n’était pas testée positive, juste elle attendait son résultat.
Ça fait un an et demi que ça dure, c’est depuis le début de la pandémie qu’ils se servent… mais partout, en taule au début aussi d’ailleurs – qu’ils se servent des cellules d’isolement pour… juste, c’est une double punition, à la fois parce que t’es malade, tu sais qu’il n’y a pas beaucoup des soins parce que tu est en centre de rétention, donc, cimer les soins, et en plus de ça, on te fout au mitard, ce qui est une mesure disciplinaire, de la même manière que quand on nous met le plexis à tout le monde, c’est une mesure disciplinaire quoi.
- Oui mais c’est ça en fait.
Moi je me demandais… tu disais que tu sors de taule, est-ce-que tu peux expliquer un peu comment ça s’est passé, comment t’as appris qu’il y avait la police aux frontières qui allait te ramener au centre de rétention ?
- En fait moi, quand j’étais en prison, je ne savais pas du tout, je ne savais pas que j’allais en centre de rétention. Mes papiers étaient périmés, je devais faire mes démarches là-bas, et j’avais pas le temps. Alors j’ai fait mes démarches vers la fin… Du coup quand j’ai fini ma peine et tout ça, moi je pense, je vais sortir dehors et tout ça, et quand je suis revenu devant la porte il y avait trois gendarmes qui m’attendaient.
Je ne savais même pas ça. Du coup c’était en sortant que t’as vu ça, quoi. Les SPIP [service pénitentiaire d’insertion et de probation], il y a personne qui t’as rien dit.
- Non, il n’y a personne qui m’a rien dit.
Moi, ça me rappelle la lettre qu’on a lu la semaine dernière à cette transmission, d’un gars qu’il était enfermé à la maison d’arrêt de Nîmes, et lui il racontait la même chose quoi. La première fois qu’il est sorti de taule, avant de faire des aller-retours CRA-taule, on lui avait dit, t’inquiètes pas t’es libérable, et on était venu le chercher quoi. Et c’était vraiment dégaulasse, parce que en fait t’as l’administration pénitentiaire et ils sont au courant, c’est eux qui ont contacté la préfecture. Ils n’ont pas peu avoir l’info comme ça par hasard, ça n’existe pas ça. La PAF figure pas tout les jours à 10h30 comme ça devant la taule.
- Bien sûr, bien sûr. Franchement, c’est vraiment compliqué, depuis que je suis là c’est compliqué. Il y a pas beaucoup de gens qui sortent, en fait, il y a des gens qui sont renvoyé et tout ça. Ils […] travaillent, famille, maison, tout ça, leur femme, leur famille – juste ils ont de problèmes de documents et tout ça, et ils les amènent ici. Et les gens qui sont arrivés en France depuis l’age de deux ans… leur vie c’est compliquée. Moi ça fait bientôt six mois, mais j’ai plus ma tête en fait, ma tête est vide, je ne sais pas quoi faire, c’est compliqué.
Mais c’est normal, parce que je ne sais pas, t’as mangé combien juste avant, mais t’as fait sis mois en CRA et tu as fait de la taule avant…
- En tout ça fait bientôt trois ans que je suis enfermé.
Bah ouais…. […] trois ans c’est long dans la vie.
- Bah oui. Mais pour l’instant ici c’est calme au CRA 2, au CRA 3 c’est calme, bah… ça se passe, pour nous ça se passe, on se donne man forte, on se soutient, on n’a pas de choix quoi.
Ouais, ça c’est le plus important.
- C’est le plus important, ouais.
Et je me demandais, tu sais s’il y a beaucoup de gens qui sortent de prison en ce moment, qui sont envoyés au Mesnil ?
- Oui, il y en a beaucoup oui, il y en a beaucoup qui sont arrivés.
Ok. Et d’un peu toutes les taules ? ou de certaines taules ?
- Il y a Meaux, Nanterre, il y a Fleury…
Ouais parce que on sait qu’en fait… on ne sait pas si ce sont des partenariats, mais les gens de la Santé par exemple vont beaucoup à Vincennes, et que normal Mesnil c’est le plus gros centre de rétention, c’est la plus grosse prison pour sanspap, et voilà quoi.
- Il y a beaucoup de gens de Fleury qui viennent ici, et des gens de Nanterre, et de gens de Meaux.
Du coup toi ça fait trois ans qui t’es enfermé […]. Ça veut dire que t’as vécu le premier confinement, t’étais…
- …en prison
Ça s’est passé comment ?
- Ça s’est bien passé et tout parce que ils m’ont donné des grâces, ils m’ont donné deux « mois corona »… ils m’ont donné deux mois corona, mais il’y a des gens…
Au vrai on est contents de trouver la personne à laquelle ça bénéficié ces deux mois de grâce… mais n’empêche qu’ils t’ont filé ces deux mois, et après ils t’ont attendu juste derrière, c’est ça ?
- Oui, c’est ça.
Parce que après, t’as mangé six mois quoi.
- Oui, j’ai mangé six mois…. Après, il y avait des gens qui sortaient pendant corona…
Mais ça c’était déjà la fin du mois de mars, début du mois d’avril, et tu vois il y a tout un moment où il y a presque un tiers ou un quart de taules en France où il y a eu tout des mouvements de blocage, tout de tentatives de mouvements collectifs quoi. Je me demandais si toi t’as vu des trucs s’organiser, ou s’il y avait eu des gens qui ont tenté de bouger pour le retour des parloirs, tu vois ce genre de trucs quoi.
- Oui, oui, il y avait des gens qui ont bougé là-bas, parce que les parloirs étaient bloqués aussi, pendant l’épidémie. Les parloirs sont bloqués, ça veut dire […] les gens ne voulaient pas monter parce qu’on n’a pas de parloirs, les habits sont sales et tout ça, oui il y avait des gens qui ont bougé.
Et ça s’est passé comment ? Il y a eu beaucoup de répression ?
- Bah ouais il y a eu beaucoup ouais. Ils ont appelé les elac [équipes locales d’appui et de contrôle, surveillants de prison], les elac nous ont appelé pour nous faire monter forcé et tout ça, c’était compliqué.
C’était violent ? Ils ont pas était trop vener ?
- Eh.. Un petit peu, un petit peu eheh, un petit peu. Après, c’est la prison ehin…
En fin, partout ils ont été très très violent, mais… donc… ouais c’est vraiment un truc de ouf la manière dont ça se passe là en ce moment quoi.
- Ils sont vraiment méchants avec tout le monde, avec tous les étrangers et tous, t’as pas de rapport avec, t’es fini quoi, t’es mort quoi. Ici les gens ils sont pas bien, ils dorment pas, ils mangent pas, c’est compliqué pour eux quoi.
Ouais… pour rappel peut-être, en fait dans le centres de rétention, tu peux pas… ce qu’on appelle dans les prisons « cantinér »…
- Non en fait, on ne peut pas cantiner… tu peux manger avec les gens que sont en visite, mais il n’y a pas trop de gens qui sont en visite, c’est compliqué.
Ouais, parce que sinon c’est la gamelle quoi […]. La gamelle en centre de rétention c’est chaud quoi.
- On a essayé la gamelle comme ça se passe ici, ce n’est pas mode… après ce que tu manges, même pas une heure et t’as faim, c’est n’importe quoi en fait. N’importe quoi, ce n’est pas des bonnes bouffes, on mange quand-même, mais ce n’est pas des bonnes bouffes.
Ouais, c’est chaud… après tu peux pas te faire à cuisiner, tu peux rien faire…
Alors que au vrais, six mois ou même trois mois, c’est de vraies peines de taule. Toi, t’as mangé (eu) un peu plus, mais il y a plein de gens qui mangent des trois mois et des sis mois en taule, et c’est le minimum de pouvoir cantiner quand on t’enferme pendant trois mois et qu’on sert ce genre de gamelles tu vois.
- Bien sûr. … je vous mens pas, quand je suis arrivé j’étais en forme, mais là…j’ai plus de motivation, en fait ils m’ont cassé le moral quoi, j’ai plus le moral, je ne sais pas quoi faire, et j’ai un pied au Sénégal, un pied ici, je suis parti trois fois en administratif, ils m’ont pas laissé, et j’ai tous les documents qu’il faut, j’ai toute la famille ici, j’ai un hébergement, j’ai tout. Et en fait c’est mon passé… c’est mon passé qui m’attrape. Et ils savent pas qu’on a grandi aujourd’hui, qu’on a compris, on est devenu père de famille, on a toutes nos vies ici. Et en tout cas moi, moi je parle de moi, mais en tout cas la France, j’aime bien la France moi, la France m’a tout donné, et aujourd’hui, aujourd’hui, je veux juste qu’ils me laissent en fin pouvoir montrer que j’ai changé…
Mais le truc c’est qu’il se joue pas là, je veux dire, là en ce moment plutôt ils ont décidé de systématiser le truc en te sortant de prison tu vois, et de toute façon pour eux la taule ce n’est pas une question que tu te repentisse ou que tu sois quelqu’un de bien, c’est une manière de punir et de faire peur, ils n’ont rien à foutre du résultat quoi.
- Bien sûr…
Du coup, le truc c’est que, d’autant qu’il y aura ces politiques racistes… et après c’est diffèrent, moi je capte ce que tu veux dire, c’est qu’il y a plein de gens qui sont cool dans Paname, en Ile de France, enfin, normal, mais ceux qui nous gouvernent ce n’est pas les mêmes quoi.
- Non ce n’est pas les mêmes. A ce moment aussi ils peuvent ramener les gens sans test.
Oui, c’est arrivé vers Mali non ?
- Oui, au Mali, en Guinée…
Ça c’est chaud hein ?
- Oui, c’est chaud. Il y avait mon pote, il était là aussi, il a fait six mois, après quand il a fini ses six mois il est parti en prison, il a fait deux mois, quand il est sorti ils l’ont ramené ici. Il a même pas fait un mois et ils l’ont ramené sans test en fait.
Franchement c’est des chiens quoi. T’imagines, ils ont fait galérer le gars pendant neuf mois – pendant neuf mois tu enferme le gars, tu le fais galérer à fond, tu lui fait croire qu’il peut être expulsé à tout moment, peut-être pas, ou aller en taule, et à la fin tu l’expulse comme ça, sans test, et dans le même temps c’est les mêmes gens qui sont en train de réclamer une troisième dose en France, de garder quasiment tout les vaccins pour les pays occidentaux, et de pas laisser régler la pandémie ailleurs. C’est vraiment chaud quoi. Le test c’est vraiment le minimum. C’est degaulasse. En tout cas, merci beaucoup pour ton appel. Je ne sais pas s’il y a quelque chose que tu veux rajouter ?
- Mais.. Merci de votre soutien ça me donne vraiment la force et merci pour tout.
Force à vous.