Catégorie : Luttes contre les frontières
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« Maintenant ça nous enferme et nous isole nous les femmes » : témoignages de prisonnières du CRA de Mesnil Amelot
Dans un article paru sur ce blog, on avait écrit à propos d’une aggression sexuelle qui avait eu lieu en mars 2020 dans le CRA de Mesnil Amelot :
L’hétéropatriarcat et le racisme sont liés et se renforcent mutuellement. Dans les politiques migratoires des États occidentaux, leur violence prend la forme du contrôle des corps des femmes migrantes par des lois racistes et sexistes. Ces lois d’une part les criminalisent (les femmes exilées et racisées sont plus souvent accusées de vol, de mensonge etc) et d’autre part les reduisent au silence en les obligeant à prouver les situations de violence extrême qu’elles ont subi (à la pref, aux instances de l’asile, devant les juges etc). Cette violence est toujours jugée par le regard d’un pouvoir occidental et patriarcal, sans tenir compte des formes particulieres qu’elle peut prendre.
Un an et demi plus tard, l’administration du CRA décide de construire des nouvelles clôtures, encore plus hautes et difficiles à escalader, entre les différents batiments du CRA.
Ces barrières visent à empecher les prisonniers-ères de passer d’un batiment à l’autre, ce qui est plutot courant quand les retenu-e-s veulent se rencontrer, passer du temps ensemble, se filer des affaires ou des infos, mais aussi quand iels décident de lutter collectivement. C’est par exemple le cas de l’incendie de janvier, quand les prisonniers de différents batiment arrivent à se réunir dans la meme promenade pour résister aux flics.
Visiblement, les efforts des keufs pour garder les gens séparés n’ont pas empeché aux retenu-e-s de se révolter, et ni d’escalader les barrières pour gagner la liberté, comme c’était le cas la semaine dernière quand une évasion collective a eu lieu.
Mais les flics de la PAF justifient aussi l’installation des nouvelles clotures, et notamment celle entre le batiment de femmes et les batiments des hommes, en la présentant comme une mésure pour « protéger » les prisonnières des aggressions des mecs. En réalité, il s’agit de les isoler encore plus, comme l’expliquent les meufs enfermées dans les témoignages ci-dessous :
// Retenue 1 :
» Avec ces plaques en métal à la place du grillage on ne voit plus rien, on s’ennuie, on rentre dans la dépression
avant on pouvait les voir ((les hommes)), les regarder jouer, se disputer, se battre, ça fait une ambiance, on s’ennuie pas, le temps passe plus vite, on voit les hommes rigoler, ils peuvent donner des cigarettes aux femmes, on peut s’aider les uns avec les autres pas comme entre femmes, comme on est moins nombreuses et y a des langues différentes c est plus difficile de communiquer parfois avec le grillage, les femmes peuvent parler avec les hommes qui parlent la même langue et les hommes savent si une nouvelle fille arrive, ils peuvent lui expliquer ce qu’elle doit faire ou pas faire moi parfois j explique aux femmes qui parlent francais mais sinon c’est difficile «
» l’autre jour y’a un flic qui est venu vers moi pour me demander si ça allait, je lui ai dit « non ça va pas » – c’est ce que je réponds à chaque fois, comment ça peut aller ? on n’a pas notre liberté – et alors je lui ai posé la question pour le grillage – juste parce qu’il est venu me parler lui, autrement je lui aurais pas parlé moi – je lui ai demandé pourquoi ils avaient installé ces plaques, maintenant je me sentais comme dans une prison, avant ça donnait l’impression d’etre ouvert, maintenant ça nous enferme et nous isole nous les femmes, il m’a dit que c’était à cause de ce que ça faisait aux hommes de voir les femmes, que ça les mettait dans des .. états … qu’ils parlaient de sexe, il voulait dire qu’ils s excitaient à regarder les femmes »
» avant le grillage il faisait peut etre 1m80 2m de haut,
là les plaques elles sont encore plus hautes »
// Retenue 2 :
« ça isole complètement les femmes, elle par exemple ça se voit qu’elle est en dépression, son visage fait mal, ne rit jamais »
« avec le grillage les hommes peuvent communiquer avec les femmes, ils savent comment ça se passe plus que nous si on a la même langue, la même origine, on peut parler, acheter un café, aider c est un homme qui m a dit pour le papier à remplir pour [démarche], il m’ a dit « [prénom] demande le papier, va au greffe » et la fille [origine], elle elle voulait dire ok pour le test et les hommes lui ont donné l info de pas faire le test, et elle a refusé les hommes passent les infos aux femmes, ils savent comment ça fonctionne les hommes sont nombreux, nous les femmes pas nombreuses, on est
isolées, c est pour faire des femmes des bêtes »
« maintenant on peut se croiser que quand on va chercher un café ou qu’on va à l infirmerie ou à la fouille, c est le même couloir »
« c’est faux y’a pas eu d’agression ((d’un homme sur une femme, qui semblait justifier l installation des plaques occultantes)), moi [je viens d arriver] donc je sais pas, mais elle elle est là depuis [période] et elle dit que c’est pas vrai »
Pour lire d'autres témoignages de meufs enfermées au Mesnil, voici une brochure sortie en 2020.
liberte pour toutes
les prisonnieres
a bas les cra !
Evasion collective et répression au CRA de Mesnil Amelot : des témoignages de retenus
Dans la nuit entre mercredi 28 et jeudi 29 juillet, plusieurs prisonniers du CRA de Mesnil Amelot ont tenté de s’évader, alors que d’autres affrontez les keufs et montaient sur les toits des batiments du centre. Au moins 2 personnes sont arrivées à s’évader !
Il parait que l’action a été bien coordonnée entre les retenus de plusieurs batiments du CRA 2 et du CRA 3, au point que les flics de la PAF ont paniqué et ont appelé des renforts de la BAC et des CRS. Vers une heure du matin, presque deux heures après le début de l’action, les keufs sont malheureseument arrivés à mater la révolte à coups de lacrymos, grenades de désencerclement et matraques. Mais ils n’ont pas pu attraper tous ceux qui s’étaient enfuis : courage aux évadés et à toustes les autres !
Après les tabassages de la nuit, la répression a continué hier (jeudi) matin : fouilles dans tous les batiments, impossible d’avoir un café ou un truc à bouffer, coups de pression. Plusieurs retenus ont été mis en isolement ou transférés dans le batiment des femmes.
Hier soir, ils ont été transférés dans le CRA de Vincennes (3 personnes) et dans le CRA de Palaiseau. Parmi eux, des personnes qui ont été pas mal tabassées pendant la révolte. Certains voulaient porter plainte contre les flics…
Voici le témoignage d’un prisonnier de Mesnil Amelot à propos de la répression qui a suivi la révolte :
« Tu connais le jeu vidéo « Call of duty » ? C’était pareil. J’étais dans une chambre tranquil’ et d’un coup j’ai vu des flics courir dans les couloirs. Ils ont commencé à arroser tout le monde. Flash ball, grenades de désencerclement, lacrymo… ils ont balancé au moins une cinquantaine de projectiles. On a tout ramassé. On a un sac rempli ! Ils tiraient de loin, de derrière les barrières. J’ai un vieux là, il a plus de 50 ans, qui s’est pris un projectile dans la figure. Et quand ils ont fini de nous allumer, alors les CRS et d’autres flics sont intervenus. Ils nous ont forcé à sortir dehors les mains en l’air, tout en nous insultant. Ils ont fouillé les bâtiments, puis les CRS sont restés toute la nuit devant les grilles. Les flics ils ont le sum’ contre nous. Ca les a véner. Pourtant ils ont pris que quelques bouteilles d’eau dans la gueule, c’est pas méchant vu tout ce qu’ils nous ont envoyé. Et c’est rien vu comment on est traité ici. C’est crade, c’est humide, c’est mal aéré, c’est tellement dégueu qu’on tombe malade. Donc c’est normal que la situation soit tendue. »
Copain du CRA2 :
« Hier l’info a tourné qu’une action collective allait avoir lieu, les mecs du CRA 3 se sont préparés, vers les coups de 22h30 ils ont commencé à jeter des draps sur les barbelés et à crier.
Nous on a vu qu’au CRA3 ça commençait donc on a crié aussi. Des gens des deux CRA ont sauté sur le toit, il y avait beaucoup de monde sur le toit.
En bas, on a essayé de bloquer les flics en leur jetant des trucs dessus, en gueulant. 2 mecs ont réussi à sauter de l’autre côté mais les autres ont pas réussi, c’était galère en vrai, au fur et à mesure beaucoup de flics sont venus, les mecs étaient encore sur le toit, les CRS sont venus en renfort, ils ont jeté des lacrymo et des grenades partout pour nous faire fuir. Mais les flics sont pas montés sur le toit juste ils tiraient sur les mecs là haut.
Nous on était nous dans la cour, c’était le bordel
Des renforts sont venus, je pense il y avait au moins 100 flics en tout, ils nous ont alignés et ont contrôlé les cartes de tout le monde, ils se sont rendu compte de qui manquait et que certains étaient partis
Y avait des flics partout, y en a ils étaient dehors d’autres ils étaient dedans, pas mal de gens se sont blessés sur les barbelés, y a un mec qui est tombé du toit, mais il est pas trop blessé et lui ils l’ont attrapé.
Apès je voyais pas tout a cause des gaz, y avait v’la les flics mais on était aveuglés, ça tirait dans tous les sens
Après ils ont tout fouillé, dans chaque cellule, pour chercher les mecs. Certains sont redescendus du toit dans le bloc.
Les CRS sont partis vers 1h. On est tous rentrés dans les cellules.
J’ai vu des gars se faire frapper par des flics, à la matraque. »
- Y a des gens qui sont partis à l’hopital ?
« Ca je sais pas, aujourd’hui j’ai vu un mec qui boitait, franchement ils ont été tellement violents »
- Et là aujourd’hui il se passe quoi ?
« Maintenant ils nous font la misère pour se venger.
On peut plus avoir de bouffe en visite, aujd ils ont fermé à 19h. Ils sont venus ce matin pour fouiller et compter les gens
On pouvait pas acheter des trucs les machines étaient bloquées »
- Vous avez un peu discuté aujourd’hui ?
« Y a des mecs qui sont pas d’accord avec l’action, parce que y en a qui ont rien a perdre, malheureusement on a pas tous la même situation ici.
Franchement c’était chaud, c’était comme un film j’te jure
Ca fait quelques temps que y a bcp de gens qui essayent de s’évader, parce que c’est ghetto ici t’as vu. Ils amènent pleins de nouveaux tous les jours, encore aujourd’hui ils ont ramené des nouveaux.
En vrai c’est normal que ca pète. »
Autre copain du CRA2 :
« Ce qu’il s’est passé c’était le bordel j’te jure comme a dit mon pote.
Après on a du dormir dans les cellules pleines de gaz, y avait des gars qui arrivaient même pas à respirer.
Là aujourd’hui ils nous font trop chier. Ils veulent se venger contre tout le monde pour nous faire payer le prix de la liberté.
Je crois que 7 ou 8 personnes se sont fait attraper, y en a un qui s’est fait salement tabasser à l’isolement, Y avait une voiture qui était garée devant l’isolement et qui le surveillait dans le batiment des femmes.
Ils ont même pas accepté que je lui passe une cigarette t’imagines. C’est pas la solution de les priver encore plus de liberté.
Franchement ici ca va pas, ca devient de pire en pire, chaque fois tu vois des nouveaux visages, des nouveaux systèmes, ils te laissent pas te reposer, même quand on est calmes, dans la cellule, ils viennent nous faire chier, nous fouiller, on est jamais tranquilles ici c’est du harcèlement. Eux même ils font en sorte de te faire péter un plomb, mais ils nous empêchent de nous défendre.
Aujourd’hui ils ont ramené au moins 5 personnes.
Ils en ont mis 3 en isolement. Celui qui s’est fait tabasser j’ai plus de nouvelles, son téléphone est éteint.
On dirait qu’ils ont tourné un film hier, j’te jure si on avait eu des caméras on aurait fait un film.
Les gens qui ont été le plus frappés ils les ont transférés pour leur éviter de porter plainte. »
Copain du CRA3 :
« On a voulu monter en haut, pour demander nos droits, voir nos enfants, demander la liberté, ils nous ont gazés, ils nous ont frappé, mais y a pas de changement.
Ils sont en train de se venger.
Moi je suis allé à l’hopital, ils m’ont filé une ordonnance, mais en arrivant au CRA ils ont refusé de me donnerles médicaments prescrits.
J’ai le diabète, ils veulent pas me donner mon traitement, même en prison j’avais accès à mon traitement la ils m’ont même pas laissé ma machine à insuline.
Y a un gars qui a déposé plainte contre les flics, et ils les ont transférés direct – franchement ils étaient pleins de bleus. Ils ont transféré ceux qui avaient été le plus frappés hier et qui voulaient porter plainte. Ils effacent les traces tu vois.
Mais ici c’est n’importe quoi.
Y a pas de lumière aux toilettes, c’est un truc de fou, on peut même pas acheter d’eau, on boit l’eau du robinet alors que moi j’ai des problèmes de reins, y a rien qui va ici.
Moi je suis en France depuis 40 ans mais je les connais, je me fais pas d’illusions. J’ai déjà été expulsé en 2006, j’avais ma carte de séjour dans la poche. C’était après les émeutes de banlieue, ils arrêtaient tous les noirs et arabes, ils m’ont mis a Vincennes, j’avais ma carte de 10 ans, j’ai fais un recours mais le lendemain ils m’ont mis du scotch et bim dans l’avion.
J’ai toute ma famille ici, je devrais pas être ici, j’ai eu 2 fois des cartes de 10 ans, c’est même pas légal que je sois sans papier maintenant, parce qu’en taule ils m’ont pas laissé renouveler mon titre et maintenant je suis ici.
Mais. Ca va pas se passer comme ca, on va continuer à lutter et faire des manifestations. »
Après la révolte et le gros incendie de janvier 2021, les luttes dans le CRA plus grand de France n’ont pas arretées. En mars, grève de la faim et refus collectif de rentrer dans les cellules. En juin, à l’occasion d’une manif contre les CRA, les prisonniers à l’intérieur répondent avec force et lancent une grève de la fraim. Et encore, les résistances individuelles n’ont jamais arreté et les refus de test pour empecher l’expulsion continuent, malgré la criminalisation et les menaces des flics.
Ces dernières semaines, l’administration du CRA avait commencé à installer des clotures encore plus hautes entre les batiments du centre [un témoignage suivra bientot]. Mais la répression, les violences policières et des murs de plus en plus hauts n’ont pas pu empecher la révolte et l’évasion.