« Au CRA, la solidarité ça fait beaucoup là-bas », témoignage de T., enfermé au Mesnil-Amelot et expulsé vers la Roumanie

T. a été placé au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot pendant l’été, il avait reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF) après une garde à vue (GAV) le 6 août. Il était en France depuis 20 ans. Aujourd’hui expulsé en Roumanie, il raconte le calvaire du CRA, la violence de la police aux frontières (PAF), le racisme de la police et de la justice mais aussi la solidarité entre les retenus comme arme contre la répression et l’isolement.


– Comment c’était, votre arrivée au CRA ?
T : L’enregistrement au CRA ça allait, le premier soir. On m’a dit que j’avais droit à un téléphone sans caméra. On m’a dit soit quelqu’un me le ramène en visite, soit je vais à l’OFII [office français de l’immigration et de l’intégration] pour en acheter un. À la fouille j’ai donné tout ce qui était interdit (téléphone, ma carte d’identité, ma carte vitale etc). On m’a transféré dans la cour pour la chambre. C’est les gars du CRA [les retenus] qui m’ont accueilli et m’ont dit là y’a de la place. Avec les retenus
ça s’est très bien passé les premiers jours, avant que je vois un peu l’état dans lequel ils sont.

– Comment c’était la chambre ?
T : Dégueulasse, sale. On était deux par chambre mais dans certaine ils dormaient à quatre, cinq, ils se réunissaient par peur.

– Ils avaient peur de quoi ?
T : Des fois il y avait des expulsions la nuit, donc pour bloquer les expulsions à plusieurs. Et puis aussi par peur des vols, des agressions, surtout ceux de la part de ceux qui prenaient des médicaments et qui devenaient fous après.

– Comment ça se passait pour les douches, l’hygiène ?
T : Infecte, on risquait de tomber malade, aucun produit désinfectant était utilisé. Y’a eu des maladies de peau, moi j’ai encore la peau qui tiraille aujourd’hui.

– Comment était l’état de santé des retenus ?
T : Très mauvais, beaucoup de gens qui souffrent de dépression, de maladie grave. Y’a un collègue
de chambre qui souffre d’un kyste au niveau des dents qui gonflait et la nuit fallait faire attention à ne pas qu’il s’étouffe. On appelait la police, et ils disaient « on n’a pas de médecins et on peut pas l’amener aux urgences».

– Ils disaient qu’il n’y avait pas de médecin ?
T : Ils lui disaient d’y aller à 10H, à 10H ils le renvoyaient à 14H. À 14H, on lui disait que le médecin il était plus là. Au bout d’un mois de rétention, le gars malade a dit qu’on l’a emmené voir un médecin de l’extérieur qui lui a dit qu’il était pas spécialiste des dents donc il l’a pas aidé.

– Cette personne est encore au CRA ?
T : Elle est toujours en CRA, ils voulaient l’expulser en Tunisie.

– Vous avez fait des actions contre ça ?
T : On a fait une pétition avec FTDA, mais il faut faire attention avec eux. Y’en a qui sont avec la police et ils ne nous aident pas. Quand on fait une pétition là bas, il faut pas que le chef de l’asso l’apprenne, ou la cheffe d’équipe. Ils aiment pas ça.

– Vous aviez l’impression qu’ils servaient à quelque chose ?
T : Oui si t’as un avocat excellent en dehors, pour transmettre les papiers etc. Mais non quand on sait qu’on va avoir un vol : ils bloquent pas les vol, les recours servent à rien même si y’a un report administratif, ils vous expulsent, comme moi.

– Comment étaient les rapports avec la police ?
T : Y’a des policiers très très racistes, qui menacent les retenus, les insultent dans la cour. Un jour, devant mes yeux, y’avait un petit entre le CRA 2 et le CRA 3 qui lançait des pièces pour récupérer de la monnaie. On se lance des pièces pour la machine à café pour avoir de la monnaie. Y’a un policier civil qui est venu, le petit avait lancé 5 euros pour changer de la monnaie et le flic lui a dit « tu as lancé quoi ? » Le retenu lui a dit de l’argent. Le flic lui a dit « tu me prend pour un con ? » ensuite ils
l’ont emmené en isolement, ils l’ont gardé deux heures et l’ont relâché.

– Est-ce que vous avez assisté à des cas de violences policières ?
T : Un gars m’a raconté ce qui c’était passé à l’isolement pour lui. Il a essayé d’aller à la machine à café, on lui a refusé bizarrement le passage alors qu’on laissait passer des gens avant lui. Donc pour moi, la police l’a provoqué, il est resté pendant deux heures. Après on lui dit de partir, que y’avait plus de passage à la machine. Alors il s’est embrouillé avec les flics et a été placé à l’isolement. Ils ont scotché ses mains, ses pieds et il m’a raconté qu’ils ont mis une chaise devant lui en cellule, ils ont allumé la caméra et ils se moquaient de lui. Il est resté une journée et une nuit à l’isolement, ils l’ont pris à 11H du matin et il est ressorti le lendemain matin.

– Est-ce qu’il y a eu des tentatives de suicide quand vous étiez enfermé au CRA ?
J’ai assisté à une scène en août, un Bosniac, qui était parti au JLD [juge des libertés et de la détention] le matin il était content car il était sur d’être libéré (il a 8 enfants et une femme, il était là pour violence
conjugales mais habitait seul et demandait à sortir pour s’occuper de ses enfants). Revenu du JLD, nous on partait manger à midi et c’est pendant ce temps-là qu’il a essayé de se suicider, il a fait une corde avec un drap et il est allé dans la salle de la TV et a voulu se pendre. Il en pouvait plus. Les
flics y sont allés, l’ont menotté et l’ont mis en isolement. Et auprès de FTDA ils ont déclaré l’avoir mis en isolement car il pleurait trop fort. On l’a revu le lendemain matin et après quelques heures ils l’ont mis dans l’avion, de force.

– Vous avez vu des gens monter sur le toit je crois…
T : Oui. Y’avait une personne montée sur le toit pour protester contre le médecin, il réclamait son traitement. Il est redescendu tout seul. Deuxième cas, un gars venait manifester pour appeler sa mère, il disait que ça faisait dix ans qu’il n’avait pas entendu sa mère et demandait de l’aide pour un coup de téléphone. Les policiers l’ont provoqué, j’étais devant la porte, jusqu’à ce qu’il craque et les insulte et après ils ont allumé leur caméra. Ils l’ont traité de déchet de l’humanité, d’erreur de la nature. Après qu’il a commencé à s’énerver, les flics ont allumé la caméra et disaient plus rien. C’était de la provocation pour pouvoir l’éloigner plus vite. Après qu’il n’a pas eu son coup de fil, il est monté sur le toit et est resté toute la journée sur le toit sans que les flics appellent qui que soit pour le faire descendre. J’ai demandé ce qu’il lui arriverait. Le flic a dit : « attendez une heure, ensuite des gens vont venir exprès et ils vont le pousser du toit ».
Là je dis « c’est normal ça ? » Il a dit « oui, au cra 3 c’est déjà arrivé. Ils ont poussé quelqu’un de là-haut ». Après il a été déplacé, il est descendu seul et a été transféré à Massy Palaiseau. Et un nouveau
de Massy a pris sa place et c’est lui qui nous a dit qu’il y avait eu un échange.

– Comment ça se passe les expulsions ? Il y a de la résistance ?
T : La plupart des expulsions c’était juste la police qui rentrait dans les chambres et disait « ramassez vos affaires on y va ». On nous disait « on n’a pas le droit de vous dire où vous allez ». Ensuite, y’en a certains qui revenait pour refus de vol, et d’autres qui partaient. Y’en a un qu’ils ont scotché parce qu’il refusait d’y aller et de partir du CRA, le policier lui a dit tu peux pas refuser depuis le CRA tu dois aller à l’aéroport. Ils l’ont scotché, lui ont mis un casque de moto et l’ont emmené comme un colis.

– Comment ça s’est passé votre expulsion ?
T : Moi la première fois j’ai refusé, le 20 août, et la deuxième fois une fois que le TA est passé qu’on m’a refusé l’annulation de l’OQTF, j’ai décidé de partir volontairement. Je me présente au greffe eton m’informe que j’avais déjà un vol le 15. Je dis « ok ». 2ème jour j’apprends par mon consulat que
y’avait pas besoin de laisser passer et que j’ai des papiers alors que au JLD on m’a déclaré sans-papier. Le consulat a dit « ils ont un billet pour le 12 ». Je comprends pas, moi on m’a dit le 15. Le consulat confirme que c’est le 12. Ensuite le 12, pas de vol. Je me suis représenté au greffe et on me dit de demander volontairement et de remplir le papier. Dimanche soir j’apprends que j’ai le vol pour le 15, donc un vol forcé, alors qu’on m’a fait remplir la déclaration de départ volontaire.

– Comment ça se passe avec le départ volontaire ? Est-ce qu’on vous donne de l’argent pour quand vous arrivez là-bas ?
T : Ils ont pas mentionné l’aide au départ mais ils vous poussent à bout pour demander le départ. Et on est expulsé 24H après et ils ne vous parlent pas de l’allocation départ, on n’a pas le temps de se renseigner. J’ai même eu une escorte qui m’a accompagné (des gens de la crim) alors que je partais volontairement. Avec moi y’avait d’autres roumains qui, eux, n’avaient pas d’escorte [pour quitter le CRA] alors que je partais volontairement. À l’aéroport, ça allait, pas de menotte pour moi. Les trois
sans escortes par contre ont été escortés [à partir de là et] menottés jusque dans l’avion avant de partir seul. Je suis parti de Roissy.

– Comment ça se passe le JLD ?
T : À part dire qu’on ne nous écoute pas, même avoir un avocat en fait ça ne compte pas pour eux. Et j’ai vu des jugements où les retenus arrivent devant le JLD, et c’est bonjour, prolongé 30 jours. Il y a des papiers que j’ai regardé, les décisions étaient prises déjà un jour avant. Le JLD ça devrait même pas exister, on dit à peine bonjour et on ressort de la salle prolongé.

– Vous auriez un mot dire pour les gens encore retenus en CRA ?
T : Courage, soyez forts. C’est tout ce qui compte là bas, la force psychologique, de se réunir à plusieurs, à se réunir, à se créer un programme de la journée, du sport. La solidarité ça fait beaucoup là-bas.