M., en France depuis deux ans, jeune Tunisien, est retenu et « confiné » au CRA de Lyon depuis le 15 avril. Dans ce témoignage du 6 mai, il raconte le transfert de force des 15 Musulmans de la zone jaune à orange le 27 avril, soit trois jours après le début du Ramadan, la grève de la faim en plein Ramadan menée du 2 au 5 mai par les sept Musulmans restant à cause des conditions d’enfermement dégradées : nourriture périmée, hygiène inexistante malgré la pandémie de coronavirus et actes de torture au mitard (à l’isolement) contre deux Musulmans faisant le Ramadan, dont un asthmatique.
Un témoignage d’un autre prisonnier de Lyon plus récent à été relayé sur crametoncralyon.
J’étais côté jaune et ils sont venus pour nous changer la cellule. Nous on n’a pas accepté parce qu’on était dans la promenade, grande, et nous on fait le Ramadan, on sort un peu dehors dans la promenade. On était je pense 15. Et on n’a pas accepté, on a dit qu’on change pas. Après est venu le renfort, on est rentré tous dans une chambre, et on a décidé que personne sort de la chambre. Ils sont venus avec toute la police. Ils sont venus avec des bombes à gaz, des matraques, boucliers. Bah en fait ils ont gazé tout le monde. Tout le monde est tombé. Il y avait quelqu’un d’asthmatique avec nous, il était trop mal. Après ils nous ont sorti un par un et nous ont amené dans l’autre zone, orange.
Le monsieur asthmatique a passé deux jours dans le mit. Ils ont frappé dans la tête, ils ont frappé partout. Et ils ont frappé un autre aussi, Marocain. Il a rien fait, il a parlé en arabe ils sont pris direct. Cette journée-là, ils ont dormi deux personnes dans le mitard.
Le Mitard ça veut dire, tu vois une cellule, tout seul, il y a rien. Et il te laisse tout seul dans le mitard, dans le noir. Et les mains sont attachées derrière, ils te mettent un masque pour que tu frappes pas ta tête, pour que tu te suicides pas. Il te met un casque parce qu’il sait que c’est un truc que t’as perdu la tête. Mêmes les chiens, excuse-moi, t’arrives pas à faire comme ça. C’est un truc de, trop.
En fait tu bouges pas. Tu dors comme ça, tu te débrouilles. Et genre quand tu te réveilles tu bouges mal, les menottes elles elles serrent. Après ils te retirent [le masque et les menottes] que pour manger. C’est ça le mitard. C’est trop chaud. En fait ils ont fait ça pour deux personnes. Je ne sais pas pourquoi mais ils ont fait ça exprès. Il a frappé et même là là là il a encore mal dans sa tête parce qu’ils ont frappé avec la matraque. Eux ils ont plus mal que nous.
Celui là qui est parti au mitard [asthmatique] il a deux enfants, français, sa femme elle est française, il travaille, il a un CDI… Il a pas mangé le 27 soir et même le 28 soir il a pas mangé. Si je vois dans les caméras le policier pousser le manger avec son pied, je ne mange pas moi-même, si j’étais à sa place je mange pas. Le 29 il n’a pas fait le Ramadan. Le 29 il arrive pas, comme il est venu ici avec les nerfs et tout, il a fumé. Tu vois, tu casses le Ramadan, tu casses plein de trucs, tu casses ta vie !
Je sais ils ont cru que lui zarma « c’est lui c’est le problème dedans, c’est lui il a monté la tête des gens » [pour résister au transfert] mais en gros lui il fait rien, chaque personne parle de lui, comme la grève [de la faim]. Il a pas dit : « vas-y, on fait tout le monde la grève ».
En fait les Albanais c’est eux qui ont commencé à faire la grève. Ils ont fait trois jours de grève et y en a plein plein plein qui ont été libérés, jusqu’à nous on a pété un plomb, on a tous crié, y a quelqu’un il est resté même pleurer, il a dit c’est c’est c’est quoi ça ? Libération, libération, libération, parce qu’on entend dans le poste quand ils libèrent quelqu’un. Et nous, tu viens dans le poste, tu vas signer, tu retournes. Mais eux : « viens, ramasses, tes affaires et tu sors ». C’est pour ça, c’est, c’est pas logique.
Après quand nous on a vu ça, chaque personne a décidé pour lui pour faire la grève. Moi j’ai fait la grève comme les autres. Quand on a commencé la grève on était sept. Tous ceux qui étaient encore là du 27 avril, tous ont fait la grève, on est resté sept. Après [trois jours] y a un policier qui est venu le soir, il a dit que « ça fait 13 ans que je travaille ici, vous faites n’importe quoi, j’ai jamais entendu personne qui fait la grève et qu’ils libèrent ». Après d’un côté, c’est un Arabe, il a parlé avec nous en arabe. On l’a écouté et après on a mangé…
Le début du Ramadan c’était bien, quand on était dans le côté jaune. Maintenant on est là, on a de la bouffe d’il y a deux trois jours. Des fois la bouffe aujourd’hui se périme et aujourd’hui on mange. T’es tout le temps à respirer la bouffe. Le manger périmé, c’est n’importe quoi. Après même dehors on a jamais mangé ça, malgré on est sans papier, on est j’sais pas. Peut-être qu’on mange mieux que les policiers. Quand on a fait la grève, le policier est venu « ouais je vais manger votre manger, il est trop bon », zarma pour la rage pour nous. Et y a des policiers on dirait c’est des gamins walla.
La promenade c’est trop petite, en haut c’est fermé. Tu vois une cage des oiseaux ? C’est comme une cage des oiseaux. Tu vois le ciel mais y a la cage, c’est fermé partout. Y a qu’un couloir ; dans l’autre zone, jaune, non. T’as les gens dans les chambres, un en face d’une chambre, et y a quatre dans la chambre ; là il y a deux. Quand tu sors dehors t’as une grande promenade, t’as une place où tu restes s’il pleut, s’il y a soleil, y a plein de chaises. Là où on est y a pas de chaises, il faut que tu restes t’assoir par terre.
Là ils ont ramené des gens, ils n’ont même pas fait des tests [contre le coronavirus] pour eux. Les gens ils ont ramené de prison hier, avant-hier. Eux ils ont pas fait les tests ici. C’est trop, c’est pas protégé. On a jamais vu de protection. Jamais de gants, jamais de masques, jamais de gel. La première fois qu’on été côté jaune, celui qui est asthmatique, comme il est venu il a ramené gel de chez lui. On se servait tous du gel de chez lui.
Y a 12 cellules de 2 lits. Maintenant on est 9. La lumière du couloir ça s’éteint pas, c’est trop fort. S’il y a pas de porte, ça t’empêche de dormir. Dans la zone jaune, toutes les portes il y a. Ici y a que deux chambres il y a la porte. Quand on ferme la porte, c’est tout noir. Au moins tu arrives à dormir. Dans notre chambre on est trois. Quelqu’un vient il dort par terre : il met deux matelas, il dort avec nous. Et y a une autre chambre ils sont quatre, y a une chambre ils sont deux. Ces deux, ils ont mis un drap.
S’il y a pas de porte, ça reste tout sale. Avec la porte c’est un peu plus propre. Même nous on nettoie tous les jours. Si tu viens voir les chambres, tu vas voir la différence entre les chambres où on est et les autres chambres qui sont ouvertes, c’est pas pareil.
Je dors tard. Je mange le soir, je dors vers 2h, 3h. Le matin 9h30 – 10h ils nous font sortir pour zarma ils nettoient les chambres. Ils ferment pour nous et nous on fini dormir dehors. On ramène nos matelas. On dort par terre, et c’est sale. Maintenant je suis dans la chambre, parce qu’ils ouvrent vers 13h comme ça. Comme j’ai rentré dans la chambre, j’ai pas le droit de changer mon drap, j’ai pas droit de changer rien. Ils m’ont dit « il faut que tu réveilles à 8h30 ».
Maintenant je vais prendre ma douche, moi j’ai pas de serviette. Ils te disent « il faut te lever à 8h30 ». J’ai pas de téléphone, j’ai pas de truc pour je mets le réveil, j’arrive pas à me réveiller à 8h30. J’ai pas de serviettes. J’ai pas de savon. J’ai rien. C’est pour ça, c’est n’importe quoi. Après, si moi je vais demander c’est que pour le rasoir et crème à raser.
Et tu prends pas la douche dans ta chambre, tu prends la douche dans une autre chambre à côté pour tu salis pas ta chambre et il ne reste pas l’eau dans ta chambre. On sait jamais t’es dans un étang ou autre. Si tu vois les autres chambres, l’eau elle coule jusqu’au milieu de la chambre. C’est même niveau la douche avec la terre. L’eau passe par terre.
Moi je veux que ma liberté. C’est tout.