« Y a un vol programmé pour moi demain », récit d’une expulsion

Nous publions ici le témoignage d’un retenu du CRA de Vincennes que nous avons eu au téléphone la veille de son expulsion, le jour même, alors qu’il était à l’aéroport, puis quelques jours plus tard. Il raconte son stress intense, sa tentative de résister dans l’avion et comment les flics l’ont tabassé pour le maitriser. Il est maintenant dans un pays qu’il avait quitté il y a près de 30 ans. Force à lui !


« C’est la chose la plus hard que j’ai jamais vécue. Y a un vol programmé pour moi demain. C’est l’avocat d’office qui m’a dit ça à la fin de mon JLD [juge des libertés et de la détention] hier. J’ai la tête qui chauffe. Je sais plus où je suis. C’est dur de pas pêter les plombs.

C’est pas comme si j’étais ici depuis un an ou deux. Cela fait près de 30 ans que je suis en France, que j’ai quitté l’Afrique. Et ils veulent que je rentre comme ça ? Mais je suis un étranger maintenant dans mon pays. J’ai plus d’attache. Qu’est ce que je vais faire là bas. J’ai rien, pas de tune, rien. Juste un sac poubelle avec quelques fringues dedans. Ca fait flipper.

Ils m’envoient dans ce pays alors que j’ai jamais été au consulat, ni à l’ambassade, j’ai pas de passeport, ni d’acte de naissance. D’ou ils décident que c’est mon pays ? C’est ce que j’ai dit au JLD. A l’audience, lorsqu’il m’a appelé, j’ai dit tout de suite que c’était pas mon nom, que c’était une erreur. Que je devais être libéré, que le CRA c’est comme le couloir de la mort avec au bout l’expulsion. C’est la mort quand tu arrives dans un pays où tu n’as personne.

Il a répondu que dans mon dossier mon nom était écrit comme ça, donc c’est tout. De toute façon le juge tu passes pas plus de 2 minutes devant et c’est au suivant. L’avocat commis d’office à chaque fois, elle n’a rien à dire, et elle avait tellement de dossier à gérer qu’elle se trompait même entre les retenus.

Bon déjà j’ai de la chance. Y’en a pour leur premier vol qui se font scotcher par les flics et casquer. D’autres qui sont envoyés à l’isolement la veille. Moi pour le moment c’est pas le cas. Peut être aussi que finalement j’ai pas de vol et que c’est pour me faire flipper, question de nous torturer un peu plus.

En tout cas, il y a deux jours, y a un gars ils l’ont emmené pour prendre l’avion à son 89ème jour. Une fois dedans, il s’est débattu. Il a gueulé. Il s’est fait tabasser par les flics, mais comme des passagers s’en sont mêlés, le pilote a demandé aux flics de descendre. Une fois sorti de l’avion, il s’est encore fait tabasser, mais après comme c’était la fin de ses 3 mois, les flics l’ont laissé partir, et il est libre. Je vais tenter de faire la même demain.

[Le lendemain matin, rien. A midi toujours rien. Il se met à espérer à un coup de pression, à une erreur de l’avocate… mais vers 13h30 les flics viennent le chercher dans sa chambre]

« Les flics m’ont demandé ma carte et m’ont dit « tu prends tes affaires, tu as un vol. Alors j’ai pris mes affaires, ils m’ont menotté, j’ai pas résisté. Là je suis à l’aéroport Charles de gaulle dans le commissariat, enfermé dans une celulle de quelques m2. En face, les flics me surveillent et peuvent voir tout ce que je fais.

Je ne suis plus menotté. J’ai le droit d’avoir mon portable avec moi. Quand je parle, ça résonne grave. Dans les autres cellules y’a d’autres gars comme moi qui attendent leur vol. C’est la merde. C’est chaud, c’est très chaud. Tout est suspendu dans ma tête, j’ai une sentation bizarre là… j’ai pas de mots pour dire ce que je ressens.

Les flics m’ont dit que le vol avait une heure de retard. C’est pour dans deux heures. Je ferai ce que j’ai dit. Je ne vais pas me laisser faire.

Tiens, l’escorte vient d’arriver : 3 flics en civils viennent de passer devant ma cellule. »

[Plus de nouvelle, le téléphone tombe sur le répondeur, puis la ligne est coupée…]

« Allo ! putain je suis à [ville en Afrique]. C’est la galère. Y a un gars qui m’héberge là, que j’ai trouvé en sortant de l’aéroport, mais ça va pas durer. Je comprends rien à ce qui m’arrive. Y a deux mois j’étais libre à Paname, y a deux jours j’étais au CRA et là je suis dans cette ville. J’ai rien, y a rien. C’est un truc de fou.

Pendant l’avion je suis rentré calmement. De toute façon, je n’avais pas le choix. J’étais menotté et casqué. Ils m’ont fait entrer par l’arrière de l’avion. C’était un gros avion Air France. Y avait les 3 flics de l’escorte hyper costaud et au moins 5 flics de l’aéroport. Une fois assis entre deux flics. Ceux de l’aéroport sont repartis. J’ai attendu que beaucoup de voyageurs entrent dans l’avion. Puis d’un coup j’ai essayé de me lever en gueulant.

J’ai crié, « lachez-moi », « vous voulez me tuer », je me suis débattu. Mais les flics m’ont fixé sur mon siège, y’en a un qui me tapait, pendant qu’un autre m’écrasait la tête sur mes genoux et m’étouffais. Je ne pouvais plus respirer alors au bout d’un moment, j’ai laché l’affaire. Ils m’ont maintenu comme ça jusqu’au décollage. Une fois en l’air c’était fini. Plus de retour possible.

Les flics m’ont enlevé le casque et ont commencé à me raconter de la merde. Qu’ils avaient une mission à accomplir et que maintenant c’était fait, qu’ils obéissaient aux ordres et qu’ils avaient des primes pour ça…

Pendant que je gueulais y a un passager qui s’est levé. Un seul… Il est venu dire que c’était pas normal, qu’il refusait de voyager dans un avion où il se passait des trucs comme ça. Un flic l’a alors pris à l’écart derrière l’avion où y a les chiottes et lui a mis la pression en lui disant qu’il risquait des poursuites. Et il est retourné s’asseoir…

Une fois arrivé à destination, les flics m’ont remis à la police locale. J’ai continué à dire que je n’étais pas de ce pays. Ils m’ont alors enfermé dans leur commissariat. Puis au bout de 24 heures, j’en ai eu marre. Alors j’ai admis que c’était bien mon pays d’origine. Et me voilà dans un autre monde. Tout est à refaire. J’ai du mal à réaliser. La nuit passée j’ai rêvé que j’étais à Paris qu’il y avait plein de babtous. Y’en a pas un seul ici !

Donne de mes nouvelles aux gars du CRA »