Taule, CRA, assignation à résidence… l’enfermement sans fin

Alors que les centres de rétention administrative (CRA) sont progressivement devenus une continuité de la prison (en 2023 : 25 % des personnes placées en CRA sortaient de taule) l’assignation à résidence se développe de manière exponentielle pour garder les personnes aux mains de l’administration. 

 

De la même manière que les peines alternatives pour le pénal, les assignations à résidence permettent à l’Etat de continuer à priver de liberté plus de personnes, renforçant l’enfermement et le contrôle en dehors des murs des CRA*.

C’est ainsi qu’à la fin des 90 jours de CRAla période maximale d’enfermement il arrive de plus en plus souvent que des retenu.es sortent avec une assignation à résidence. Cette mesure, prise par la préfecture, permet aux flics de les garder sous surveillance le temps de continuer à préparer leur expulsion.

Les retenus découvrent cette assignation à résidence le jour de leur sortie du CRA, comme certains ont appris à leur levée d’écrou qu’ils partaient en centre de rétention

« Moi j’ai fait 90 jours en CRA. A la fin je suis allé à la greffe, la policière m’a dit : « Vous êtes assigné à résidence, vous devez aller signer à Paris entre 11h et 12h, de lundi à jeudi, pendant 45 jours, renouvelables », explique un prisonnier du CRA du Mesnil Amelot.

Un autre à Vincennes raconte : « après 90 jours à être enfermé, ces batards ils m’ont mis un pointage. Quand je suis parti ils m’ont donné un papier disant que je devais signer 3 fois par semaine dans un commissariat qui est hyper loin de chez moi ».

Devant cette pratique, on s’est dit qu’il était important que les prisonnier.es et leurs proches sachent en quoi consiste l’assignation à résidence pour qu‘iels puissent s’y préparer. On a donc rédigé ce petit texte à diffuser à l’intéreur et à l’extérieur des CRA.


*une assignation à résidence peut être prise comme alternative au CRA à l’issue d’un contrôle, mais également décidée pendant la rétention ou à l’issue d’une période de 90 jours pour garder la personne à disposition de la Pref

 


  • L’assignation à résidence c’est quoi

A la fin du placement en CRA, le préfet peut décider de vous assigner à résidence, c’est à dire que vous êtes censé rester chez vous ou chez la personne qui vous héberge et être facilement « trouvable » par les flics.

Vous serez alors obligé de pointer plusieurs fois par semaine au commissariat (parfois chaque jour). Cette mesure démarre dès votre sortie du CRA.

L’assignation à résidence donne du temps à la préfecture pour organiser votre expulsion et obtenir les laisser-passer qu’elle n’a pas forcément réussi à avoir pendant la rétention.

A tout moment lorsque vous irez pointer au commissariat, la police peut vous arrêter pour vous expulser. Elle peut aussi venir vous chercher chez vous.

« Moi l’avant-dernier jour ou j’ai signé c’était pas la même feuille que d’habitude, j’ai senti l’odeur qu’ils allaient me prendre directement du comico, raconte un ancien retenu juste après son expulsion. Celle qui me faisait signer le PV tous les jours, elle m’a dit que j’avais des nouveaux docs à signer et que je devrai voir un supérieur mais qu’il etait pas là qu’on verrait demain. Mais je suis retourné quand même le lendemain et quand je suis arrivé j’ai pas trouvé les mêmes policiers que d’habitude c’était la PAF. »

Il est aussi possible d’être assigné à résidence pendant la rétention, alors l’assignation remplace le placement en CRA, vous serez « libéré » sous la condition d’une assignation à résidence. Dans ce cas c’est le JLD (juge des libertés et de la détention), et non plus la préfecture qui prend cette décision. Dans ce cas il faut alors remettre son passeport à la préfecture.

 

 

  • Qui ça concerne ? 

Vous êtes concerné si vous faites l’objet d’une mesure d’éloignement :

– Obligation de quitter le territoire français (OQTF) depuis moins de 3 ans sans délai ou dont le délai de départ volontaire est terminé

– Interdiction de retour sur le territoire français (IRTF)

– Remise à un autre État de Schengen (hors procédure Dublin)

– Interdiction de circulation sur le territoire français (ICTF)

– Mesure d’expulsion

– Interdiction judiciaire du territoire (ITF)

– Interdiction administrative du territoire (IAT)

 

 

  • Combien de temps ça dure
la règle générale c’est 45 jours, renouvelable deux fois. Soit 135 jours possibles au total.
– ou selon les cas (par exemple vous faites l’objet d’une procédure d’expulsion, mais vous ne pouvez pas vous y soumettre à cause d’une maladie grave), un an, renouvelable deux fois. Soit 3 ans maximum.

 

 

  • De nombreuses obligations
En cas d’assignation à résidence, vous devez : 
    
– habiter dans le lieu indiqué
– pointer au commissariat
– accepter d’aller au consulat pour obtenir un document de voyage
– ne pas sortir d’une zone définie par la préfecture
parfois, ne pas sortir de chez vous pendant une durée fixée par la préfecture. Cela peut aller de 3 heures (par exemple entre 8h00 et 11h00) à 10 heures toutes les 24 heures.
– la police peut entrer chez vous et fouiller le logement pour trouver des documents qui pourraient faciliter votre expulsion 

 

 

  • Si vous ne respectez pas ces obligations 
si vous vous faites attraper, vous serez remis en CRA et vous risquerez en plus une peine de prison et une amende. (« soustraction à une mesure d’éloignement » : passible de 3 ans de prison)
– la police peut débarquer à l’adresse indiquée sur l’assignation à résidence. Mais la personne qui vous héberge ne risque rien.

 

 

  • Contester la décision
Vous avez 7 jours pour faire un recours contre cette assignation à résidence.
Mais ce recours n’est pas suspensif, c’est à dire que vous devrez quand même aller pointer au commissariat en attendant la décision du Tribunal administratif 
Si vous souhaitez faire un recours, allez dès votre sortie du CRA voir une association pour qu’elle conteste la décision.

 

 

  • Préparer sa stratégie
Mieux vaut réfléchir à la stratégie à adopter en cas d’assignation à résidence. Car le but de la préfecture est bien de vous garder à l’oeil pour tenter de vous expulser. Et un non respect de l’assignation (meme un simple retard au pointage) peut servir de prétexte pour vous replacer en CRA (le délai entre chaque placement en CRA a été réduit à 48h et le délai d’exécution d’office d’une OQTF est de 3 ans).

 

« Un matin, je suis arrivé en retard car y avait des galères dans les transports. Pourtant je me suis dépêché, j’ai du terminer à pied. Mais une fois au commissariat, ils n’ont rien voulu savoir. Je suis parti en garde à vue puis au CRA pour 3 mois », raconte un retenu qui enchaîne les périodes CRA et assignation à résidence.

Certains prisonniers qui savent qu’ils ne peuvent pas être expulsés vont aller pointer au commissariat.« Moi mon assignation a duré un peu plus d’un mois. Je l’ai faite car je savais que mon pays ne voulais pas de moi. Au bout d’un mois les flics m’ont dit que c’était bon je n’avais plus besoin de revenir », raconte un ancien retenu.

D’autres qui risquent d’être expulsés décident de ne pas respecter l’assignation à résidence. »Je suis jamais allé pointer. Mon cousin il m’a dit : « Tu vas aller la-bàs et tu vas plus sortir ». Ils attendent juste un laissez-passer du consul et ils te mettent dans l’avion », témoigne un ex-retenu.

« Ils vont te donner 7 jours pour quitter le territoire francais* et après les 7 jours quand tu vas signer, ils vont te prendre directement au commissariat et ils vont te mettre directement dans l’avion, voilà. Si tu vas pas signer et qu’ils ont des informations sur toi, ton adresses, ils viennent te chercher diectement chez toi! »

 

Si vous n’avez pas donné d’adresse pendant la retention, les flics peuvent fixer le lieu de pointage dans la zone ou vous vous êtes fait arrêter. Et il arrive que des personnes qui vivent à la rue doivent aussi aller pointer.
* cette periode pendant laquelle les flics ne replacent pas en centre de rétention a depuis été abaissée à 48H, en plus elle n’est pas toujours respectée.

 

 

  • La fin de l’assignation à résidence
A la fin de l’assignation à résidence, l’OQTF ou l’interdiction de territoire sont toujours exécutoires (3 ans désormais). En cas de contrôle par les flics, vous risquez donc toujours de retourner en CRA.
Il arrive aussi qu‘à la fin de l’assignation à résidence, la préfecture laisse passer quelques jours avant de notifier à la personne une nouvelle période de 45 jours.

 


 

L’assignation à résidence est parfois présentée comme une « peine » plus légère que l’enfermement. Cela n’en reste pas moins un régime de privation de liberté, avec ses multiples contraintes et humiliations, qui fait partie intégrante de l’arsenal juridique répressif de l’Etat. L’augmentation régulière de la durée de retention, les allers-retours entre la taule et les CRA et la systématisation de l’assignation à résidence se complètent dans un même objectif répressif qui vise à rendre la vie impossible aux personnes qui n’ont pas les « bons » papiers.