Refus de soin, violences, solidarité entre retenus, ennui… nous publions ici le témoignage d’un retenu du centre de rétention du Mesnil-Amelot qui nous raconte son quotidien.
“Comment ça se passe à l’intérieur en ce moment ?”
« Y’a beaucoup de tensions, les gens sont armés, et la police quand elle voit une bagarre elle laisse les gens régler leurs comptes. Y’a des gens qui n’ont pas de force, qui sont faibles.
Ce matin ils sont venus – normalement le matin on te réveille pas, même en prison on réveille pas les gens. Si il veut faire le ménage il le fait lui-même.
Ils nous font sortir le matin vers 9h, à ce qu’il parait ils nettoient, alors qu’ils nettoient rien du tout. Quand je suis rentré dans ma chambre y’avait des traces partout. Je suis parti voir la cheffe elle m’a dit « c’est vos collègues qu’ont fait ça ». Alors que j’attendais juste devant la porte.
C’est juste pour nous fatiguer psychologiquement. Alors que j’ai pas besoin de ménage, moi j’le fais mon ménage.
Ici les gens sont avec des rasoirs, des lames, des fois ça chauffe. Y’a rien à faire, les gens y nous donne même pas à ballon
Y’a des groupes. Des fois y’a des règlements de compte, juste pour des cigarettes, pour des trucs bêtes. Les gens y ont faim, ils font pas d’activités, ça crée des tensions.
La dernière fois y’avait une bagarre, deux policiers dans les couloirs ont été appelés au talkie-walkie, le policier il a dit à son collègue « attend un peu on va pas y aller maintenant » ça veut dire laisse les se battre, nous quand c’est finit on rentre. La police elle s’en fout des personnes isolées.
Ils nous ont mis ici, dans des cages, et ils nous font de la torture morale. Au niveau de la bouffe, au niveau de y’a pas de ballon de foot, y’a rien pour qu’on fasse du sport. Qu’ils nous réveillent le matin.
Ici, si y’a qqn dans notre zone, mais du bâtiment d’à côté, ils le laissent pas jouer au foot avec nous. La dernière fois, y’a un gars qui voulaient venir jouer avec nous, on a demandé à la dame, elle à dit « non, c’est la loi c’est comme ça ». Le gars il a escaladé, il a sauté, il est venu jouer avec nous, elle a rien dit. Elle aurait pu au moins lui ouvrir la porte pour pas qu’il se blesse.
Hier y’a une tension avec la police. Y’a un gars ici, c’est pas sa place, sa place c’est dans un H-P. La ce matin, il voulait pas se réveiller. Quand il s’est réveillé il est parti dans les couloirs, il s’est énervé il a pissé dans les couloirs.
Il insulte dans le vent, il crie fort. Quand il a pissé dans les couloirs, là ils sont venus, il l’ont étranglé. Un étranglement pour qu’ils lui coupent le souffle, ils ont voulu le ramener à l’isolement.
Jusqu’à ce que nous on a crié sur eux « ouais ça se fait pas, moi j’connais la loi » ; j’ai parlé avec eux « normalement on se comporte pas avec lui comme ça » « ce monsieur, il est pas normal ». Le flic dit « ouais on sait ». Mais pourquoi il est ici alors ? Le flic dit que c’est la préfecture qui décide.
T’es capable de le ramener à l’isolement parce qu’il a pissé dans les couloirs mais t’es pas capable de le ramener à l’hôpital, pour voir ce qu’il a. Ils s’en foutent, pour eux on est des animaux.
Le gars, il a demandé d’aller au bled, d’aller dans son pays. Ca fait deux mois qu’il demande, et il est encore là.
J’ai parlé avec eux, pour qu’ils aillent voir le médecin et qu’il ait un traitement.
Ils m’ont dis « on est pas obligé de lui donner un traitement », il a déjà été vu par un médecin, mais il l’appellent plus maintenant. Les médecins le voient plus, il est là avec nous, des fois on le calme.
Eux les flics, dès qu’ils voient quelqu’un qui n’a pas de famille ici, qui ne sait pas parler français ou s’exprimer…S’ils le voient faible, alors ils vont encore plus l’affaiblir, le torturer : ils vont le mettre à l’isolement, etc.
Si nous hier on n’avait pas crié, on a dit « vous êtes déjà filmés, on a des preuves », il aurait passé la nuit en isolement.
En isolement on sait même pas ce qu’il se passe là-bas. La dernière fois, il était à l’isolement, il est resté deux jours. Il devait rester que un jour, finalement il lui ont rajouter un jour. Il a pas de médicaments, il pète un câble.
Même moi, j’prends un traitement pour les allergies. Je suis aller voir le médecin, il m’a donné le traitement. Pendant une semaine j’y suis pas parti, tu vois les allergies c’est pas tous les jours.
La dernière fois j’ai eu une crise vers minuit, j’ai pas dormi. Vers midi j’me suis endormi, j’me suis réveillé vers 15h30. J’suis allé à l’infirmerie, on m’a dit non, c’est fermé, l’infirmière elle voulait pas donner. J’fais que de me gratter, mais elle veut pas, elle dit qu’il fallait venir à l’heure.
J’ai crié, y’a une autre gradée qui est venue, je lui dis « vous voulez quoi, je monte sur le toit, j’me jette sur la tête elle, j’vais à l’hôpital et là on me donne un médicament ? Ou je m’ouvre avec un rasoir, et là vous me soigner ».
Quand je lui parlais comme ça, on dirait ça leur plait qu’on soit agressif, qu’on dise qu’on s’ouvre les veines et qu’on va à l’hôpital. Elle est partie voir l’infirmière et là elle a donné le médicament. Alors que c’est un tout petit truc pour les allergies !
Normalement on est même pas de détenus. En prison c’était même pas comme ça. T’as un problème, tu vas à l’infirmerie, normal.
Ils font ça juste pour qu’on en ai marre et qu’on déteste ce pays.
J’ai un enfant de deux et demi, et j’ai une femme, les deux c’est des françaises. J’aurais du avoir mes papiers l’année dernière, ils ont accepté mon dossier.
Ils m’ont envoyé mon rendez-vous, mais j’ai pas pu y aller, j’ai été mis en prison. Quand suis sorti de prison ils m’ont ramené ici.
Ils m’ont donné une OQTF, sur laquelle ils disent que j’ai aucun lien, pas de famille en France. Alors que moi je suis marié à la mairie, j’ai un enfant dehors.
La loi elle s’applique sur nous juste quand on fait des bêtises. On dirait ils veulent qu’on reste comme ça, sans travail, sans argent.
J’suis obligé de travailler au noir, soit j’fais des bêtises.
J’ai galéré deux ans pour avoir un rendez-vous avec le COVID, et quand j’ai pu enfin en avoir un j’suis parti en prison.
J’pouvais pas faire le recours pendant les 48h quand j’ai reçu l’OQTF, j’ai eu la feuille en prison, en retard. J’ai fais un recours tardif en arrivant au CRA. Malheureusement ils ont pas accepté, mais mon avocat a fait appel. Ils croient que j’vais partir et laisser mon enfant ici.
Y’a plus d’humanité, y’a plus de coeur.
J’ai pas peur d’aller au bled, si j’étais célibataire pas de problème. J’l’ai dis à la juge, mais j’ai mon enfant et ma femme, elle m’a dit « t’as qu’à les ramener avec toi »
Ca fait 20 jours que je suis là. Le consul est venu, j’lui ai tout donné. On attend.
On se retrouve à traverser la mer, alors qu’ici y’a rien à faire, sans papier tu peux pas travailler.
Même en prison, les gens qu’ont pas de papier, ils font leur peine. Les autres ils sortent en bracelet, nous non. Ils nous disent « t’es pas le même que nous ».
Les gens ils font des fausses cartes d’identité, pour pouvoir travailler, et ils font de l’intérim.
Ils profitent, t’as pas de papier, ils vont profiter de toi.
Dans notre bâtiment le CRA 3 y’a de la solidarité, ça se passe bien. Les flics ils prennent une personne faible, ils veulent jouer. Si on est là on est témoin on parle, on fait un peu de cinéma, les flics ils voient qu’ils peuvent pas faire ce qu’ils veulent.
La dernière fois le gars qui a un problème, il voulait voir le greffe. Les flics lui ont dit « non y’a pas de greffe ici », ils l’engueulent alors qu’il est pas agressif. Le policier il a commencé a lui parler mal, il a commencé à mettre des gants. Et moi j’étais juste à côté, j’suis parti le voir et j’lui demande pourquoi il met des gants comme ça. Il veut le frapper ?
Le gars il a été calmé par un autre flic qui lui parlait tranquillement, il est parti. J’ai dis au flic « voilà faut apprendre de vos collègues les plus anciens », il l’a prit tellement mal, il m’a menacé j’te le jure, il m’a dit « la prochaine fois, si je suis devant la porte, alors que t’as une visite, ou que tu veux acheter un café, et bah j’vais pas te laisser passer ».
J’ai demandé l’article 24. L’article 24 c’est pour porter plainte contre une personne.
L’après-midi l’autre flic il revient, il me dit qu’il a écrit sur moi.
J’vais voir la cheffe. J’lui raconte, et je lui dit que je veux écrire aussi sur lui. Le flic il a porté plainte contre moi, j’ai pris son numéro le RIO, numéro d’identification, j’ai dis à la cheffe « donnez moi l’article 24, j’vais écrire contre lui ». Elle a vu le gars, puis elle a dit « c’est mieux que ça se termine ici ».
Normalement si tu demandes l’article 24 au greffe, ils te le donnent, mais s’ils voient que t’es malin, que tu comprends comment ça se passe, ils essaient de t’empêcher de faire des trucs.
Mais si ils voient que tu parles pas bien français ou quoi, ils en profitent.
Le flic il m’a empêché d’aller au greffe. Il m’empêchait d’aller dans les couloirs. Moi j’ai rassemblé tout le monde « j’ai dit « venez il faut que vous soyez témoin, là j’vais monter j’vais sauter ».
Il m’a fait attendre pendant une heure, deux heures, alors que y’avait des gens qui passaient, ils laissaient passer. C’est quand j’ai rassemblé tout le monde, que y’a un autre flic qui m’a laissé passer.
Moi ça va parce que je connais les bails, je sais comment ça se passe ici, ça fait presque 12 ans que je suis ici. Pour les gens qui savent pas, c’est chaud.
La dernière fois, ils voulaient pas nous donner un vrai ballon. J’ai pris une feuille et je l’ai rempli, on a écrit tous les noms, prénoms et on a signé. Y’avait quoi, 27-28 personnes.
J’ai écrit une lettre comme quoi on veut juste un ballon, s’il vous plaît, avant le match vous nous le donnez, on finit on rend. Ils nous donnent un ballon en mousse, on peut pas jouer. Tu peux même pas taper dedans.
J’ai parlé avec le chef du bâtiment, il m’a dit « non c’est pas possible, vous allez vous blesser, vous aller casser des fenêtres ». Mais où y’a des fenêtres ici ? Y’a pas de fenêtres !
On est des singes, mais sans activité, sans rien. Ca crée des tensions, en plus y’a des gens ils ont pas leurs drogues et tout. [un avion passe]
Les gens qui consommaient des drogues sont pas soignés, ils ont pas tous des médicaments.
Une personne tu l’as mets en cage, y’a pas de télé, pas d’activité, y’a rien, il va faire quoi ? Il va devenir agressif, non ?
Même la machine qui distribue des gâteaux elle fonctionne plus. Mon pote il rentre avec des gâteaux, des boissons, ils l’ont pas laissé rentré avec.
Ca dépend des groupes de police qu’il y a, des fois ils laissent rentrer, ça dépend vraiment des flics. La dernière fois j’ai parlé avec un policier, j’lui dit que sa collègue qui vient d’arriver elle est trop énervée, il m’a dit de laisser tomber.
Moi j’suis arrivé ici j’avais 17 ans, ça fait longtemps. Si j’avais pas ma femme et mon enfant, j’serais parti, mais ça fait longtemps quand même. »