À l’intérieur des CRA, la personne la plus connue est sûrement Garcia. Ou plutôt « Maitre Ruben Garcia, avocat au barreau de Paris ». S’il est aussi célèbre, c’est que cet avocat a fait de la rétention sa spécialité. Son business, il le fait sur le dos des personnes enfermées. Il lui suffit de gagner régulièrement quelque dossiers pour que les retenu·es qui le peuvent fassent appel à lui. Quand un·e retenu·e te dit qu’iel a pris un avocat, on s’attend à ce que ça soit Garcia.
Pas de site internet, pas de plaque sur la porte de son cabinet situé au 54 rue de la bienfaisance dans le 8ème arrondissement de Paris… Pas besoin de tout ça. Son téléphone tourne tout seul à l’intérieur des CRA. Même les flics font sa pub. « Garcia ? ce sont des flics qui m’en ont parlé quand je venais visiter mon mari, raconte la proche d’un retenu. Ils m’ont dit qu’il faisait sortir plein de monde ». Un ancien retenu raconte qu’au CRA de Vincennes, un flic glisse le nom de Garcia aux nouveaux arrivants lorsqu’ils déposent leurs affaires au coffre.
Évidemment Garcia ne fait pas ça gratos. Le montant qu’il prend c’est un peu à la tête du client, tant les sommes varient d’un retenu à l’autre. Il adore se faire payer en cash, demande des petits extras et met la pression sur les retenu·es ou leurs proches pour qu’iels allongent.
« Moi j’ai négocié 1 400 euros pour toute la rétention, donc c’est le même taro si je fais plusieurs JLD [juge des libertés et de la détention. Les retenu·es passent devant ce juge jusqu’à 4 fois durant leurs 90 jours maximum de rétention]. « Mais à d’autres il va demander 500 euros de plus par ci par là pour chaque audience » raconte A, qui est passé par le CRA de Vincennes. M., enfermé lui aussi à Vincennes, confirme : « Je connais des gens qui ont mis 3 000 – 3 500 euros pour Garcia. Il vient au premier JLD et après il demande des rallonges pour les suivants ».
En 2020, un retenu du CRA de Oissel (près de Rouen) nous avait déjà raconté ses embrouilles avec Garcia. Il était venu au premier JLD mais ne s’était pas pointé lors de la 2e audience. Au téléphone, Garcia avait expliqué au retenu qu’il devait faire en sorte que ses proches aillent déposer son « cadeau » à son adresse s’il voulait être représenté à sa prochaine audience JLD.
Le terme de « cadeau » est souvent utilisé dans les témoignages sur Garcia, il s’agit en réalité d’argent liquide ou de paiement sous d’autre formes.
La thune est au centre de tout. Tant que le montant des honoraires n’est pas dealé, inutile d’espérer discuter avec lui. « Il parlait que des thunes, des thunes… Je pouvais même pas lui parler de la situation de mon cousin d’abord », explique la proche d’un retenu. Une autre raconte la même chose : « mon petit frère m’a dit de l’appeler car soit disant il est reconnu. Mais il m’a pris de haut. M’a dit que c’était 1 500 euros à ramener à son cabinet, alors que j’avais même pas commencé à expliquer le cas de mon frère. J’y suis pas allé ».
« On dit que Garcia quand tu le choisis, t’es sûr de sortir mais c’est faux ! Le nombre de gens qui sont retournés au bled alors qu’ils l’ont payé… » témoigne S. un ancien retenu.
L’avantage avec ce business, c’est que lorsqu’il « perd », lorsqu’il n’arrive pas à faire sortir la personne enfermée, il risque rien le Garcia, puisqu’au final le retenu est soit expulsé, soit il sort au bout des 90 jours. « S’il te bluffe ou s’il t’arnaque déjà t’as pas de preuve que tu lui as donné de l’argent, comme c’est beaucoup en cash. Et de toute façon, t’as pas de papiers. Donc déposer plainte contre un avocat, laisse tomber ! », lâche B.
Alors autant dire qu’il en abat du dossier le Garcia. En 2024, Garcia est cité dans plus de 450 procédures sur justice.pappers.fr, un site qui recense une partie des décisions de justice. En grande majorité il s’agit d’appels de décision du JLD (380), ou des JLD (70). Vu combien il prend par dossier, on te laisse imaginer combien il palpe… Une somme, qui doit alimenter sa SCI, la SCI DE L’ANJE, située à Boulogne-Billancourt.
Avec un tel rythme c’est sur qu’il en a pas grand chose à foutre des personnes qu’il est censé défendre : à l’automne lors d’une audience du JLD, le baveux aura passé plus de temps à copiner avec l’avocat de la préfecture ou les flics qu’à soutenir les retenus.
Lors de cette audience, son premier dossier est gagné pour vice de procédure, les autres seront perdus. Mais c’est son attitude qui est gerbante. Au deuxième dossier, il ne plaide que 10 secondes. Le juge décide le maintien de la personne en rétention et va pendant de longues minutes dicter ses motivations. Durant tout ce temps Garcia restera à discuter avec l’avocat de la pref, laissant son client seul face au juge. Plusieurs fois le retenu tourne la tête vers son avocat, tente de comprendre ce que dit le juge, se demande pourquoi son avocat n’intervient pas… Mais Garcia l’ignore totalement.
Et voila le retenu, sonné, qui repart pour une période de 30 jours d’enfermement.
Dossier suivant, Garcia est en train de plaider pour un retenu déjà enfermé depuis 60 jours, quand il s’arrête pour saluer le flic d’une escorte qui vient de rentrer dans la salle d’audience. Là encore le juge rejette ses arguments et prolonge la rétention. Là encore l’avocat n’explique rien à son client. Et pendant que le juge dicte ses conclusions, Garcia part serrer les mains des flics de l’escorte. Puis il s’installe carrément avec eux, adossé au mur entre la flic de garde et les autres pour taper la discute.
Début novembre, nouvelle audience au JLD : la juge note l’absence d’un avocat. « Quelqu’un sait-il s’il viendra ? », lance-t-elle. L’avocat de la pref se charge de lui demander par SMS… Résultat : Garcia a envoyé ses conclusions écrites mais il ne viendra pas à l’audience défendre son client. Ce dernier apprend son absence au moment de comparaître, Garcia ne l’avait pas prévenu. Sa rétention sera prolongée. Dans la salle, le cousin d’un autre retenu commente : « C’est chaud, tu paies le gars et il se pointe même pas, heureusement que je l’ai pas engagé ».
Ne pas se déplacer semble être une habitude. Alors qu’un retenu passait en appel mi-novembre et croyait en ses chances de sortir, Garcia n’a pas pris la peine de venir. Le gars, qui n’a pas été libéré, a tenté de joindre l’avocat toute la journée, qui n’a pas décroché. « Si y’a qu’un client à lui à une audience, il se déplace pas toujours. Il va venir que s’il en a plusieurs », raconte W., un retenu.
Et ça fait des années que ça dure. L’humiliation de ses clients ou de leur proches est, en effet, récurrente dans les témoignages sur Garcia. Comme cette fois en 2019 au TGI de Paris, lorsque la juge donne la parole au retenu qui ne répond pas. Il n’y a pas d’interprète, la juge est véner, elle finit par lui parler de manière très infantilisante. Le retenu ne parle toujours pas. Garcia, son avocat, s’énerve et hurle à son client de parler et quoi dire, le mec finit par dire qu’il est prêt à partir en Algérie.
Une femme âgée qui est là en soutien dit quelque chose depuis le fond de la salle, ce qui lui vaut un regard noir de Garcia. En sortant, au milieu du hall du TGI, Garcia va lui taper un scandale. Il s’emballe sur le « non respect envers l’institution » et que la prochaine fois qu’ils auront besoin de lui c’est pas la peine d’appeler.
Si ce baveux se fait autant de bif, c’est qu’il profite de la politique raciste de l’Etat qui enferme chaque année plusieurs dizaines de milliers de personnes en CRA car elles n’ont pas les bons papiers. Si la dureté de l’enfermement et la crainte de l’expulsion poussent celles qui le peuvent à raquer pour Garcia, c’est aussi parce que très peu d’avocats acceptent de défendre des retenu.es, de se déplacer au JLD et de se faire payer à l’aide juridictionnelle.
Ce système permet d’engraisser toute la chaîne judiciaire. Comme les juges des libertés et de la détention, qui tous les jours enchaînent les dossiers en reconduisant quasi systématiquement la rétention des personnes enfermées, tout en se permettant souvent au passage, propos racistes et méprisant. Ou les cabinets d’avocats (Adam Caumeil, Centaure avocat, Arco-legal, situés dans Paris ou Actis Avocats à Créteil, Tomasi, Dumoulin à Lyon…) qui touchent des millions chaque année pour représenter la préfecture.