On a recueilli le témoignage d’un co-retenu de A., décédé au CRA du Mesnil-Amelot le 18 octobre 2024. Cette histoire illustre bien la façon dont la rétention administrative criminalise, et comment elle compte aussi sur la collaboration des consulats. Ça témoigne aussi de la galère pour les retenus expulsés une fois arrivés de l’autre côté de la frontière pour s’en sortir.
Tu peux me raconter un peu ton arrivée au CRA, ton arrestation ?
J’étais à la maison, je me baladais avec une meuf qui avait des problèmes cardiaques. J’ai pas su tout de suite, mais genre elle crachait du sang souvent à la maison. Ce jour-là elle est sortie de la maison et moi aussi parce que je suis sorti fumer. Elle a fait un malaise dehors pendant que moi j’étais déjà rentré, et du coup les gens sont passés, ils l’ont vue et ont appelé les pompiers. Les pompiers ont pas cherché à savoir, ont vu qu’elle avait du sang sur la bouche, directe ils ont dit qu’elle avait une ouverture de 3 cm et ils ont appelé le 17. Elle m’a envoyé un message après en mode j’ai fait un malaise. Le 17 est venu, ils l’ont questionné, et dès qu’elle a dit mon nom mon prénom ils sont venus toquer à la porte de l’appartement. Moi j’ai pas ouvert, je me suis dit ils vont rester 20 minutes ou quoi mais non ils sont restés 2H devant l’appartement. 2H après je vois le groupe de GIGN (gendarmerie) pour casser la porte, faire une perquisition. Je me suis dit j’ai rien fait, ils vont pas casser la porte donc j’ai ouvert, ils m’ont plaqué au sol et ils m’ont embarqué pieds nus, ils ont pas voulu que je mette mes chaussures, du coup ils m’ont ramené en GAV. Ils m’ont pas dit pourquoi, ni rien du tout juste « tu vas savoir pourquoi t’es là au commissariat ». Je suis resté calme, et ils m’ont emmené au comico de Sevran parce que c’était la nuit, moi j’habite à Villepinte et ils m’ont dit « t’es là pour violences conjugales ». Ils m’ont transféré à Villepinte ensuite, j’ai fait mon audition et ma copine aussi, et ils m’ont pas laissé lui parler, ils ont dit que si j’essayais de lui parler ils me taseraient. Elle leur a dit que c’était un malaise qu’elle avait fait, elle a dit tout ce que je leur avais dit alors qu’on s’était pas parlé. Du coup euh, elle est venue, elle a pas porté plainte et l’enquête y’avait rien. J’ai signé la fin de GAV à 14h, mais ils m’ont gardé jusqu’à 15H-16H. La policière me dit « tu peux partir mais tu vas pas rentrer chez toi tu vas aller au CRA ». Je savais pas ce que c’était le CRA, mais j’ai gardé mon sang froid. Ils m’ont dit « tu vas rester là 90 jours ». Mais y’avait pas de poursuites ou quoi je comprenais pas. Le mardi d’avant j’étais chez l’avocat pour refaire mes papiers parce que j’avais une OQTF de 1 an, j’ai payé l’avocat pour refaire mon dossier etc, j’ai même les tickets de paiement. Je suis resté 4 jours au CRA après ils m’ont amené au JLD. La juge m’a prolongé 26 jours, elle m’a laissé en délibéré jusqu’à 17H… Pendant le JLD, ma copine a fait un malaise devant eux quand elle a su qu’ils me prolongeaient de 26 jours, et ils ont pas réussi à la réveiller. Même une policière qui était ancienne pompier a pas réussi à la réveiller. Donc j’ai demandé à intervenir pour aider, et la juge elle a fini par me laisser. Elle s’est réveillée parce que je lui ai donné ses médicaments qui étaient sur elle. C’était moi qui m’occupais de son traitement quand j’étais avec elle. J’ai dit à la juge que j’étais son seul soutien, elle a vu avec ses propres yeux que y’avait que moi qui connaissait sa maladie. Après ça elle me parle « d’humanité » je sais pas quoi et elle m’a laissé 26 jours de prolongement même après ce qu’elle a vu. Après les 26j ils m’ont ramené voir le consul, mais j’ai refusé de le voir. Je suis reparti au JLD et elle m’a prolongé parce que je suis pas sorti au consulat. Elle me dit « dans 2j t’auras encore le consul et tu dois sortir, cette fois ». J’en avais marre. A l’époque on avait pas de chauffage au CRA et le CRA 2, où j’étais, le bâtiment est froid parce qu’il est coté nord, y’a pas de soleil qui vient dessus. Je dormais par terre avec un matelas en plus.
Y’avait pas de lit ?
Si mais j’ai des problèmes de dos et je pouvais pas dormir en haut, donc je dormais par terre. Le lendemain, on jouait dans la cour du CRA 2 et je me suis blessé à la hanche. L’infirmière du CRA elle m’a pris rdv avec un médecin 3J après. Ma blessure était rouge, genre ça saignait à l’intérieur, et là elle m’a dit « je te prend un rdv à l’hôpital pour des radios ». Ils ont annulé le premier rdv parce que y’avait un problème d’escorte, le deuxième rdv pareil, problème d’escorte. Quand le 2ème a été refusé, je suis allé à la Cimade le matin. Elle m’appelle un moment, moi je savais pas que c’était eux. J’y vais l’aprèm et elle m’a dit « oui on va on a appelé le matin vous êtes pas venu », sauf que moi quand j’entends mon nom au micro c’est pour les visites ou les JLD, je savais pas que ça pouvait être la Cimade. Ensuite elle me dit de faire une DML (Demande de mise en liberté) à cause des problèmes d’escorte vers l’hôpital. Je suis reparti au JLD après à la suite de la DML, la juge elle savait pas ce que j’avais, et moi j’avais le certificat médical comme quoi j’étais malade, que j’avais pas pu aller au consulat aussi à cause ça et que je devais aller à l’hôpital. L’avocat de la préfecture il savait pas que j’avais un certificat médical. Pendant ce jugement, l’avocat il avait rien à dire, il était au courant de rien. Mon avocate elle a parlé elle, mais la juge elle a pas compris l’écriture du médecin sur le certif, donc elle m’a dit que c’était sans doute pas grave et c’est comme ça qu’elle a rejeté la demande de mise en liberté. J’ai fini les 2 mois, puis encore le JLD, et encore 15 jours. Ils m’ont dit que les autorités algériennes m’avaient reconnu et 1 semaine après le JLD ils m’ont mis un vol de l’aéroport Charles de Gaulle vers Oran et moi j’avais rien, pas d’affaires, comme maintenant d’ailleurs mais bon. J’ai refusé et je suis resté encore une semaine à mes 75ème jours, ils m’ont remis un vol. La veille je suis parti récupérer l’ordonnance parce que ct aussi mon JLD. Mais ils m’ont dit que je devais partir à l’aéroport parce que j’avais un vol. Ils m’ont dit tu peux partir sans escorte, et moi il me restait les derniers 15 jours. Je pouvais refuser le 2ème d’après la police, mais sinon je repartais à la fin des 15 jours, scotché, menotté, avec une ITF (interdiction du territoire français). Il m’a dit « tu seras escorté et scotché » pour ton prochain vol si tu refuses celui-là.
Il t’a dit ça ??
Ouais, et j’ai déjà vu ça. Ils ont des voitures à l’aéroport, quand tu descends de la salle d’embarquement, tes pieds ils touchent même pas le sol, ils te portent ! C’est des escortes de 4 ou 5 flics. Jusqu’à ce que tu prends ta place dans l’avion. J’ai vu ça sur mon premier vol, y’avait un gars comme ça qui voulait pas monter. Il le ramenait de Toulouse jusqu’à Paris, et sur le chemin il s’est énervé, ils l’ont scotché, ils lui ont mis un casque de kick boxing.
T’as pu lui parler à ce gars ?
Non ils ont pas voulu que je lui parle.
T’étais là quand A. est mort ?
D’abord on a cru que c’était une embrouille parce que ça criait. J’ai appelé un pote du CRA 3 et dès que je l’ai eu il m’a raconté qu’un Egyptien était mort en sortant de la douche. Les gens sont sortis crier pour faire venir les keufs. En général ils sortent quand ça crie, genre quand y’a des embrouilles etc. Quand les gens ont appelé sur l’interphone, ils ont raconté aux policiers ce qui était en train de se passer. C’était à 1H du matin. Les keufs sont intervenus mais ils ont pas voulu le toucher, ils ont fait aucun effort. L’équipe de nuit ils s’en foutent, si y’a une urgence ils s’en foutent. Y’a eu une fois, un gars a craqué parce que y’avait pas de télé, rien au CRA 2. Le gars est monté sur le toit du bâtiment. Ils ont fermé le bat et ils l’ont laissé en haut, il a dormi en haut. Le lendemain ils l’ont changé de CRA, ils se cassent pas la tête.
Tu peux raconter ce qui s’est passé après ?
C’était un peu chaud après la mort du gars, les gens du CRA 3 refusaient de rentrer dans les bat. Même le directeur du CRA 3 il les a laissé faire si tu veux. Les bâtiments c’étaient un peu ouverts, tu peux dire qu’après la mort de ce gars, ils ont donné une liberté de 3 jours comme ça au CRA 3 pour calmer les choses. Après ils ont de nouveau tout fermé, les retenus pouvaient plus rien dire. Au CRA, si tu commences à parler d’un truc, pour que tout le monde se réveille pour ses droits, ils te mettent en isolement, te changent de CRA. Comme pour le chauffage, tout ceux qui ont râlé en premier, ils les ont mis en isolement. Mais après les gens ont suivi, c’est un peu les premiers qui parlent qui vont en isolement. Y’en a un comme ça qui avait un vol avec moi.
Est-ce que y’a eu des gens qui ont été mis en isolement après la mort de A. ?
Je sais pas, au CRA 2 non, au CRA 3 on sait pas. Au CRA 2 ils mettent en isolement plutôt les gens qui sont fous, pas conscients. Au bâtiment 11 y’en avait plein des gens comme ça. Tu trouves mêmes des SDF qui étaient dans le crack, ils les ramènent là-bas au lieu de les soigner.
Ils leur donnaient des médicaments ?
L’infirmerie ils donnent mais je sais pas si ils donnent à tout le monde. Il faut une ordonnance. Moi j’en avais pas donc je sais pas.
Tu peux raconter ton expulsion ?
A l’aéroport d’Alger, je savais que j’allais galérer pour aller jusqu’à Oran, c’est 4H 5H de route. A peine je descends, ils ont dit qu’ils allaient faire descendre tout le monde, on était 2 à venir du CRA. Y’en a 1 qui sortait direct de prison, escorté. Ils ont dit qu’il fallait attendre que les gens descendent avant qu’on sorte. Un policier d’Algérie attendait, on est partis avec, on est rentré dans l’aéroport, dans une salle, et on a attendu, on est resté 1h comme ça. Ils nous ont appelé pour les passeports, mais je l’avais pas. Heureusement j’avais une photo sur mon téléphone, parce que sinon c’était la prison. Chez nous y’a pas de CRA c’est juste directement la prison, jusqu’à ce qu’ils prouvent ton identité. Sinon t’as des gens de ta famille qui doivent venir te chercher avec un papier d’identité à l’aéroport. Du coup moi je l’avais sur mon téléphone et après ça on a fait les empreintes et après ça on n’a pas tardé, on nous a lâché.
T’es allé où après ?
Quand je suis sorti, j’avais appelé quelqu’un pour m’attendre à l’aéroport. Mais c’était le 1er novembre, et moi je suis arrivé le 31. Les autoroutes c’était fermé et on pouvait pas se déplacer vers Oran. Donc la personne ne pouvait pas me ramener, en plus j’avais plus de batterie. J’avais des nouvelles de personne. J’ai essayé d’acheter une carte sim, mais j’ai pas de passeport donc je pouvais pas. Là bas tu dois avoir un passeport pour ça. J’ai essayé partout, mais c’était la galère parce que mon passeport est expiré. J’ai dû appeler mon frère et tout pour qu’il m’envoie le sien. Je savais pas quoi faire en sortant de l’aéroport d’Alger, je connais pas moi je suis jamais descendu là bas. Je retourne pour prendre un vol Alger Oran et même un vol j’ai pas trouvé, tout était complet. Je suis resté perdu jusqu’à ce que j’ai pris un taxi au noir. De Alger jusqu’à Oran il m’a ramené, je suis arrivé à minuit. J’ai payé 75 euros le trajet alors que j’ai pas d’argent, il me restait que 80 euros du CRA.
T’as trouvé de la famille à Oran ?
Le lendemain oui, mais je voulais pas qu’ils sachent que je suis revenu sans rien parce que ça va parler.
T’es arrivé en France à quel âge ?
A 13 ans, j’ai de la famille en France et en Allemagne.