Un retenu du CRA du Mesnil-Amelot dénonce les humiliations et violences policières subies dans le centre, et le refus de soins suite aux violences subies. Loin d’être un cas isolé, ce témoignage fait état des violences systémiques autour desquelles ces lieux d’enfermement pour étranger.es se structurent.
Je suis un retenu du centre de rétention du Mesnil-Amelot. Ici, ils donnent pas à manger. La dernière fois, je suis arrivé à l’heure de manger, il y avait rien, on m’a donné le plat vide. J’ai dit, « il est où mon plat ? », on m’a dit « y’en a plus ». J’ai dit « ils sont où les droits de l’homme ? », on m’a dit « y’en a plus ».
Les flics me détestent, me disent « t’aimes pas l’autorité ». Ici, ils frappent les gens. Est-ce que t’as entendu parler de l’autre retenu que la police avait cassé ? Ils lui ont cassé le nez, ses yeux étaient bien défoncés et il avait le visage déjà bleu, vert. Ils lui ont cassé je sais pas quoi, le bras ou l’avant-bras.
Moi, quelqu’un qui représente l’autorité m’a cassé le nez. Il y avait une bagarre, je me suis mis à courir et la police m’a bloqué la route. Ils savaient même pas pourquoi je courais, mais y a un policier qui m’a donné un coup de poing sur le nez, il a bien visé sur le nez. Après il m’a suivi jusqu’au grillage et il m’a gazé. Je lui ai dit « t’es un raciste », il m’a dit « je suis pire qu’un raciste ».
Mon nez ça fait dix jours qu’il saigne, qu’il coule de sang. Dès que je le touche, j’ai des vertiges et j’ai mal. J’arrive pas à respirer, il est bouché et je respire que par la bouche. A chaque fois ils me ratent le RDV avec le médecin, on me laisse pas partir à l’hôpital, je sais pas pourquoi. J’ai demandé l’hôpital, j’ai demandé la radio, on me donne que doliprane, doliprane, doliprane, doliprane.
Au bout de deux jours j’ai vu le médecin. Il voulait pas m’examiner. Il est resté assis sur sa chaise comme ça, il me regardait, à au moins deux mètres de distance. Il m’a dit « t’as quoi », je lui ai dit « j’ai le nez cassé ». Il m’a dit « vous pensez ? », je lui ai dit « oui je pense et je sais très bien que j’ai le nez cassé ». Il m’a dit « t’as mal où, exactement ? ». Je lui ai dit « ici, comme ça » et je lui ai montré avec les doigts. Il m’a dit « ok », il a écrit son certificat et il m’a dit « tiens c’est bon ». C’est bon, c’est comme ça. Et c’était du doliprane.
Hier, j’étais un peu énervé avec les infirmières. J’ai dit « c’est quoi ce foutage de gueule, je dois aller à l’hôpital ». Elles m’ont dit : « A l’hôpital ils font plus les opérations, même si on vous envoie là-bas, ils opèrent plus ». J’arrive pas à comprendre comment ça se passe ici. Je sais pas, j’en sais rien. J’ai dit « moi je peux pas rester avec le nez cassé, libérez-moi, je vais même quitter la France, je vais aller en Espagne, je parle très bien l’espagnol, je vais aller faire l’opération moi-même ». Elle m’ont dit « ouais, fais-le toi-même ». Alors qu’est-ce que je fais là ?
Ce matin, au rendez-vous avec le médecin, je suis arrivé à 10h40. Il y avait au moins 1h20 pour passer chez le médecin et y avait que trois patients, je les ai compté et j’ai demandé. Mais le flic il m’a dit « t’es en retard, c’est mort, reviens à 14h30 ». Moi je savais pas qu’il y avait plus de médecin l’après-midi. Quand je suis revenu, il y avait que les infirmières, avec leur doliprane, comme d’hab. Quand j’ai dit « j’ai un rendez-vous avec le médecin », elles m’ont dit « non, il est parti à midi ». Le flic était là pendant la consultation, je lui ai dit « t’as bien réussi, t’as bien joué avec moi ». Parce que la dernière fois, le mec qui a grimpé le grillage et qui est monté sur le toit parce qu’il avait le vol [pour être expulsé], je lui ai jeté à manger. Le flic m’a emmené à la fouille et il m’a dit « tu lui as jeté quoi ? ». J’ai dit « je lui ai jeté à manger, parce qu’il a faim et il a rien à manger ». Il m’a dit « tu veux jouer avec moi, bah on va bien jouer ». C’est ce flic là qui m’a dit « t’es arrivé en retard ».
Si un policier était frappé par un retenu, le retenu il part en prison, ça c’est sûr et certain à 1000%. Il part en prison, et le policier part à l’hôpital pour être soigné, avoir l’opération. Mais là c’est l’inverse, et le retenu il va rester dans sa cellule avec son nez cassé et ce policier, peut-être ils l’ont changé de bâtiment parce que je le vois plus, mais je sais qu’il est pas puni et je sais bien qu’il est pas blessé.
Le seul qui souffre dans cette affaire, c’est moi. Je suis là, dans cet enfer, je peux pas sortir, je suis pas libre. Je suis retenu, vous pouvez même dire détenu, parce que c’est pareil : retenu ou détenu, on est enfermés. Donc j’ai pas la liberté pour aller faire l’opération moi-même. S’ils me libèrent là, maintenant, je vais voir un médecin tout de suite, je fais une radio et une opération parce que je suis sûr et certain qu’il faut une opération. Ça fait 10 jours maintenant.