Témoignage de Philanthrope, prisonnier du CRA de Lyon St-Exupéry, 2019

Témoignage publié initialement sur crametoncralyon.noblogs.org

Donc, tu veux parler de ce qui se passe à l’intérieur du centre ?

Toute la journée tu veux dire ? Du matin jusqu’au soir ?

Comme tu veux…

Donc hum en ce moment je suis dans la période du ramaddan tu vois, c’est peut-être un moment de la vie différent que d’habitude tu vois.
Donc, bon, ils nous réveillent à 10h du matin et ils vérifient toutes les chambres, et ils laissent les lits retournés et tout n’est pas comme ils… comme ils l’ont trouvé avant. Donc…
Et ensuite on sort par le hall là, et y a des personnes elles vont prendre le petit-déjeuner et après le petit-déjeuner ils leur donnent les pilules, enfin des médocs qui shootent tu vois, comme du Valium, du Rivotril, des trucs comme ça. La police ils en donnent aux personnes ici. Ils donnent des cachetons ! Et à cause de ces pilules, ils se battent les uns avec les autres et ils se battent avec la police et tout le reste tu vois.

Mais les règles ici, si tu veux demander quelque chose pour ton voyage, le prochain voyage, à quelle destination ils vont t’envoyer, ils, ils veulent pas te répondre ! Ils laissent la surprise !
Euh… Un jour ou deux jours avant, ils viennent pour te dire que tu as un vol le lendemain, tôt le matin vers une destination, t’étais pas au courant avant, tu vois.
Au moins ils devraient nous donner quelques informations avant, genre une semaine ou deux. Ou te laisser choisir tu vois. Tu comprends ce que je veux dire ?
Tu as besoin de plus de temps pour… avant le voyage tu sais ! Avant… Parce que tu dois demander à tes amis, à ta famille de te ramener tes vêtements, tes papiers, tes dossiers et plein de choses comme ça ! Pas comme une surprise après un jour !
Ils disent demain, après-demain si tu as de la chance, ils vont dire après-demain…

Donc… Et les gens quand ils se battent avec la police ils sont dehors, ils partent, quand ils… Les gens ils rentrent dans les chambres, parce que dans les chambres y a pas de caméra. Et dans les chambres, ils se batten avec la police aussi tu vois !

Ok et ça arrive souvent ?

Ouais ouais. C’est pas toujours mais des fois… Je dirais que ça arrive des fois tu vois.

Qu’est-ce que les personnes peuvent faire ensuite pour être protégées ?

Pour la protection, y a rien à faire tu vois, ils font rien… Peut-être ils cachent les caméras et ils se battront encore avec la police.
Si tu veux que la police vienne, tu dois cacher les caméras pour qu’ils arrivent.

Et tu veux parler de Forum Réfugiés ?

Forum Réfugiés… C’est la même chose tu vois, la même chose, c’est la même chose ! Ils t’appellent, et tu leur demandes, et ils disent « il n’y a rien à dire », « il n’y a pas de nouvelles ».
C’est la même chose ! Après un jour, deux jours, tu vas apprendre des trucs pas de la part de Forum mais de la police tu vois.

Comme si Forum c’était un supplément ici tu vois, un supplément pour… pour ne rien demander tu vois, hum. Ils te disent si tu leur demandes rien. Je leur ai demandé deux-trois fois et c’est la même réponse « il n’y a rien de nouveau », « il n’y a pas de nouvelles ».
Et toutes les personnes c’est comme moi ici. Et elles posent les mêmes questions. Si tu demandes à Forum, ils te répondent, ils disent « non jamais ».
Tu dois attendre.
C’est tout.

Hum et est-ce que t’as vu des personnes qui voulaient parler à Forum de ce qui se passe avec la police à l’intérieur ?

A l’intérieur, personne parle avec Forum tu sais de ce qui se passe à l’intérieur.
Comme hier, deux personnes se battaient tu vois. La police est arrivée et ils… Un policier ils…. Ils ont frappé tu sais, ils ont frappé l’un des gars tu sais. Ils en ont frappé un, et ils l’ont mis trois heures et ils l’ont laissé.

Trois heures où ?

Trois heures dans une pièce… Juste une pièce tu vois. Une pièce fermée.

Ah ok, « isolement » ?

Ouais ouais… Et aujourd’hui son visage est [inaudible], à cause des coups de la police tu vois, ils ont frappé son visage, tu vois. Ouais…

J’ai quelque chose à dire sur les règles ici. Ca ressemble pas à l’Europe tu sais. Y a des personnes qui ont l’asile dans d’autres pays. Donc les règles ils doivent lui demander où ils ont l’asile pour les renvoyer. Pas dans son pays de d’origine tu vois.
Ici la règle c’est, les règles ont changé ou je sais pas ! Ils demandent, en premier, ils demandent son pays d’origine. Ils demandent pas le deuxième pays où ils ont eu l’asile, ou ils ont l’asile.
Tu vois, c’est un problème, quand y a des personnes qui ont des problèmes à l’intérieur…
Désolé [il tousse] parce que je jeûne aujourd’hui tu sais.

Y a des gens, je disais, ils ont l’asile parce qu’ils ont des gros gros problèmes dans leur pays. Donc les règles ici, ils doivent lui demander où il a l’asile pour le renvoyer. Pas le renvoyer dans son pays d’origine tu vois.
C’est illégal, enfin je crois.

Et pour les consulats ?

Les consulats ils nous prennent, nous nords-africains je veux dire. Ils font un tour tu vois.
Ils demandent à l’ambassade de Tunisie, au consulat de Tunisie et après une semaine ils nous amènent au consulat algérien et après deux ou trois jours, ils demandent au consulat marocain de te renvoyer tu vois.
S’ils ont rien trouvé, ils te demandent ton passeport, « Où est ton passeport ?! ». Si j’en ai pas, si je suis illégal ici, pourquoi tu me demandes mon passeport ? Si j’avais un passeport j’irais dans un autre pays, pas ici tu vois.

Voilà.

Je voudrais dire, ce monde est à l’humanité, à tout le monde tu vois. Je devrais choisir où je veux vivre, pas eux tu vois.
On peut pas se battre pour cacher les frontières. Y a pas de frontières dans le monde.

Et merci beaucoup pour l’enregistrement.

Rassemblement contre les rafles, les CRA et les frontières le samedi 22 juin à 15h, à place de La Chapelle

Alors que le centre de rétention de Saint-Jacques-de-la-Lande, près de Rennes, vient de vivre, depuis janvier, la seconde révolte collective de retenu·e·s à l’occasion d’une expulsion suite à un vol caché [1] (une dizaine de détenus ont mis le feu à des matelas, entraînant une diminution de 15 places dans ce CRA), un collectif de soutien aux personnes sans-papiers de Rennes propose de manifester simultanément contre tous les centres de rétention administrative (CRA) de France, le samedi 22 juin. Cette date est aussi l’anniversaire de l’incendie du CRA de Vincennes en 2008, aboutissement d’une révolte collective faisant suite à la mort d’un retenu. Parce que ces révoltes, qui font partir en fumée des places dans les CRA, enrayent la machine à expulser, nous reprenons l’appel à les soutenir.

À Paris, nous appelons à nous retrouver à place de La Chapelle, là où les rafles et les contrôles policiers sont le quotidien de centaines de sans-papiers, comme cela s’est produit le jour de la manifestation Stop Dublin du 25 mai dernier (au moins 9 personnes interpellées, dont 3 ont fini en CRA). Ces rafles aboutissent à l’enfermement des personnes sans-papiers dans des CRA. Dans ces prisons pour étranger·e·s l’État entasse les personnes qui n’ont pas les bons papiers, afin de les avoir sous la main pour pouvoir les déporter. Privation de liberté, angoisse de l’expulsion, matons qui régulièrement tabassent ou humilient conformément à leur rôle de flics, tentatives de suicide, vidéosurveillance, contrôles, fouilles, confiscation des téléphones, difficulté des recours, être attaché·e ou masqué·e lors des expulsions, ne pas être averti·e de son expulsion, être réveillé·e et embarqué·e en pleine nuit, être passible de prison dès qu’on résiste : voilà le lot commun de violences subies par celles et ceux qui n’ont pas les bons papiers.

Nous soutenons les révoltes à l’intérieur des CRA, comme celles récemment à Vincennes et Mesnil-Amelot (grèves de la faim, résistances collectives contre les expulsions, refus de réintégrer les bâtiments, départ de feu, etc.) et nous organisons contre ces taules. Nous apportons notre solidarité aux retenu·e·s et aux révolté·e·s face à la répression : suite à la dernière révolte à Rennes, deux retenus ont été condamnés à deux ans fermes de prison, deux autres à un an ferme et un an à sept mois ferme. Le CRA les a amenés en prison, la prison les ramènera au CRA.

Contre les rafles et les déportations !
Contre les CRA et les frontières !
Contre tous les enfermements !

Soutenons les résistances des sans-papiers face à la violence et au racisme d’État !

[1Très souvent la PAF (police aux frontières) vient chercher les retenu·e·s sans qu’ils et elles soient prévenu·e·s de leur expulsion